J’aime beaucoup les éditions Magnani dont je parle pour la première fois ici. Cette maison est à l’œuvre depuis une dizaine d’années et a commencé par publier des albums jeunesse de jeunes illustrateurs principalement issus des Arts Décoratifs de Strasbourg et partageant leurs travaux dans la revue Nyctalope comme Simon Roussin, Marion Fayolle ou Matthias Malingrey notamment. Tout en suivant ces auteurs dans leurs parcours, le catalogue de la maison s’est diversifié avec de belles bandes dessinées ou livres illustrés pour adultes puis quelques romans. Il en ressort un catalogue exigeant, pointu et passionnant par ce souci de mettre en avant de nouvelles formes d’illustrations et de narrations avec des mises en page et fabrications impeccables jusque dans les choix de papiers.
Dans ce sillage, Camille Louzon a vu paraître Le Ventre de Basile, son premier album, aux éditions Magnani en 2013. Elle y a depuis écrit et illustré plusieurs autres titres, dont le très réussi Iris des abysses. Son travail d’illustration à la peinture est très intéressant et minutieux avec des couleurs éclatantes.
Dans ce livre, est pris pour point de départ l’histoire bien connue de Laïka, chienne russe envoyée dans l’espace en 1957 à bord de Spoutnik 2 en pleine période de conquête de l’espace. L’on commence par ce qui pourrait être le point de vue de cet animal sur cette histoire. Elle est recueillie par des scientifiques qui, alors qu’elle pense avoir trouvé une famille, l’envoient seule dans l’espace dans une fusée en guise d’expérimentation. Après ce portrait de Laïka et de ses ressentis, l’on passe à une suite d’aventures fantaisistes et fantastiques où la chienne prend les commandes du vaisseau et va de planète en planète pour y rencontrer tant d’animaux aussi seuls qu’affairés qui vont participer à sa folle équipée spatiale.

Ici, l’on débute l’album sur le ton du portrait, voire du documentaire auquel renvoie le titre, Laïka : la véritable histoire de la première cosmonaute. Mais, par un joyeux pied de nez aux conventions, la véritable histoire s’avère celle imaginée par l’autrice autour de ce personnage alors qu’elle prend les commandes de la fusée, bien plus réjouissante que la réalité ou l’ « Histoire avec un grand H ». L’histoire est bien ici ce que l’on nous raconte mis en valeur par la narration précise et rythmée de Camille Louzon et non la réalité. À l’époque, le sort de la chienne a fait l’objet de beaucoup de mystifications et mensonges du régime soviétique pour tenir en haleine la population au-delà de l’Union Soviétique pendant plusieurs semaines. Si maintenant l’on sait bien ce qui est arrivé à Laïka, voilà une revisite fantaisiste, délicieuse et pleine d’espoir quant à sa condition. Voici une histoire véritable et très réussie.
L’on se retrouve alors dans une épopée cosmique délirante et réjouissante où le triste sort de la chienne se mue en grande aventure et folles rencontres. Laïka passe de cobaye à aventurière tant par son courage, son inventivité que par la solidarité dont elle fait preuve. Elle découvre l’espace, l’univers et tant de nouveaux compagnons (singe, renarde, autruche ou grenouille) formant un bestiaire facétieux. Par un heureux retournement de situation, alors qu’elle est abandonnée à un triste sort au début, elle construit tout un monde autour de nouveaux amis et d’aventures délicieuses menées par ce groupe soudé d’animaux abandonnés. Cette histoire s’avère forte en émotions pour les petits et grands lecteurs qui prennent fait et cause pour Laïka et passent par la tristesse, l’incrédulité, la colère, la joie, l’amusement ou l’apaisement.

La narration mise en place est fluide et enlevée au fil des différentes découvertes et rencontres du groupe s’agrandissant à chaque arrêt de la fusée. Une boucle narrative est créée autour de chaque nouvel animal rencontré sur une autre planète. De plus, le texte est rimé, cela renforçant l’aspect ritournelle joyeuse de cette boucle et le rythme donné à la lecture à l’oral de cet album.
Les illustrations à la peinture de Camille Louzon donnent beaucoup de relief et d’intensité à cette histoire. Les personnages et leur environnement direct, parfois fantaisistes comme cette planète rose barbe à papa, sont très détaillés et rehaussés d’aplats de couleurs vives dans un style que l’on peut rapprocher de l’art naïf russe. En arrière-plan de certaines pages et prenant plus ou moins d’importance, les fonds cosmiques sont saisissants et bien moins représentatifs en formant des sortes d’explosions ou de nébuleuses de couleurs d’une grande intensité proche de l’abstraction. À cela s’ajoute de nombreux points blancs parsemant ces fonds pour représenter les étoiles en revenant à la naïveté première des illustrations. Ces deux aspects combinés donnent un résultat fascinant que l’on se plaît à détailler.
Laïka, Camille Louzon, éditions Magnani, 22,90 euros, à partir de 5 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 62 min d’émission).
Pour plus d’informations sur Camille Louzon et sur les éditions Magnani.
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