Renaud Farace est illustrateur et parfois auteur d’albums jeunesse et de bandes dessinées notamment au Seuil jeunesse, chez Sarbacane ou Casterman. Olivier Philipponneau est à l’origine de la fondation de The Hocchie Coochie et a également créé la maison d’édition jeunesse 3œil, dont j’ai déjà parlé ici pour sa très bonne collection Philonimo. Il a illustré plusieurs livres pour enfants, principalement aux éditions MeMo, avec une prédilection pour des techniques d’illustration traditionnelles et surtout la gravure sur bois. Ils ont déjà collaboré ensemble dans des expérimentations narratives et graphiques autour des principes de l’OuBaPo, Ouvroir de Bande dessinée Potentielle, dans plusieurs fanzines.
Dans cette nouvelle édition, Détective Rollmops comprend onze enquêtes successives menées, dans un monde imaginaire mais assez quotidien par certains aspects, par ce petit personnage comme un gentil monstre doté de trois yeux avec l’aide active du lecteur. Les récits, plus ou moins longs, voient la résolution du problème se faire avec le concours du lecteur grâce à différents jeux ou manipulations du livre suggérés par les auteurs. De bande dessinée d’enquête, le livre en devient un réel livre-jeu dont le héros, aux côtés du détective Rollmops, est bien le lecteur.

Chacune des saynètes reprend une contrainte narrative ou graphique propre aux principes de l’OuBaPo de cadre formel strict. Les contraintes que s’imposent les auteurs dans leur travail deviennent ici jeu pour l’enfant lecteur. L’on retrouve alors, selon les enquêtes, une histoire en boucle, une à lire dans les deux sens, un livre à tourner pour pouvoir lire la suite, des pages à plier pour combiner les cases entre elles, un labyrinthe ou même un jeu de l’oie revisité. Les jeux minutieux mis en place par les textes ou les illustrations se combinent parfaitement dans les systèmes narratifs développés. L’on oscille entre livre d’enquête et expérimentation narrative à hauteur d’enfant, l’un enrichissant pleinement l’autre. L’on peut même y voir une certaine mise en abîme du livre d’enquête où l’on résout les problèmes grâce au livre en lui-même qui en contient tous les procédés. La lecture de Détective Rollmops est ludique en ce que le lecteur découvre l’expérimentation par sa propre expérience de lecture active sur le livre. Cela s’avère particulièrement malin : l’expérimental devient ici très accessible, en plus d’y être très drôle. Les textes de Renaud Farace sont ciselés et dénotent d’un grand humour confinant à l’absurde, participant à l’exercice de style autant qu’à la drôlerie des histoires par de nombreux jeux sur les mots.

Comme cela peut être remarqué dans nombre de ces chroniques, j’ai un goût prononcé pour les livres à contrainte. Il y a là de l’intérêt intellectuel que cela me procure en tant que lectrice adulte qui aime décortiquer les narrations, les systèmes et rouages d’un livre et de son élaboration. Mais l’usage de la contrainte par les auteurs, et surtout pour des livres jeunesse, est réussi quand cela sert le propos au-delà de l’exercice de style, aussi périlleux soit-il. Ici, le pari est totalement réussi : la contrainte est prétexte à jeux, humour et redécouverte de l’objet-livre par sa manipulation. Il s’agit de manipuler le livre pour se l’approprier, le découvrir ou le redécouvrir. Cela donne fortement envie de s’atteler à ce genre de jeux narratifs avec des enfants lors d’ateliers !
Si les textes sont ici écrits par Renaud Farace, la narration est bien mise en place par les deux auteurs en commun tant les illustrations tiennent une place importante et participent aux jeux narratifs. Les illustrations d’Olivier Philipponneau sont toutes faites à la gravure sur bois, technique donnant beaucoup de relief à son travail. Le découpage des séquences évolue selon les histoires où alternent des pages entières fourmillant de détails (tel le bureau du détective au tout début pouvant mettre sur la piste des enquêtes) ou divers gaufriers alternatifs et tout aussi foisonnants. Il est très intéressant de voir un propos novateur et presque expérimental dans la bande dessinée jeunesse couplé à une technique d’illustration traditionnelle. À noter la belle fabrication de la nouvelle édition de ce livre bénéficiant d’un très grand format à la couverture cartonnée qui détonne par l’usage de quatre pantone forts et tranchés.
Détective Rollmops, Renaud Farace & Olivier Philipponneau, éditions The Hoochie Coochie & 3oeil, 17 euros, à partir de 8 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 82 min d’émission).
Pour plus d’informations sur Renaud Farace, Olivier Philipponneau, The Hoochie Coochie et 3oeil.