Sara Lundberg est une autrice-illustratrice suédoise ayant déjà publié nombre de livres pour enfants. Elle a pour l’instant été peu traduite en France où elle est encore assez méconnue. Voilà ici un album de plus en plus traduit de par le monde qui va sûrement participer à la reconnaissance de son travail au-delà de la Suède.

L’oiseau en moi vole où il veut dresse un portrait de la peintre Berta Hansson dans son adolescence dans une ferme de la campagne suédoise au début du XXe siècle. On la suit entre sa vie d’adolescente et de découvertes, son quotidien à la ferme et sa vie de famille tourmentée. Elle peint et dessine ce qu’elle voit dans un carnet et sculpte des oiseaux avec l’argile de la rivière comme autant d’offrandes pour tenter de guérir sa mère de la tuberculose. Elle est confrontée à sa différence, aux autres, au deuil de sa mère.

Il y a là du récit d’apprentissage, d’initiation très réussi dans ce portrait d’adolescente et de l’adolescence, de ce moment de passage entre l’enfance et l’âge adulte. L’on y sent toute la fragilité et toute la force de cette personne en construction. Si l’on peut y voir un questionnement sur ce que l’on peut faire de ses rêves d’enfants, l’on se place au-delà du rêve pour Berta, au niveau de la nécessité. Elle fait alors autant preuve de courage que de désespoir à l’idée de ce que l’on attend d’elle plus tard, se marier et aider à la ferme, alors qu’elle ne veut que continuer ses études et peindre. Elle parvient à échapper à son destin tout aussi tracé que celui des autres filles de sa famille et de sa condition mais cela non seulement par sa volonté et sa rébellion mais bien par nécessité intime. Voilà une biographie romancée de cette période de la vie de Berta Hansson pour laquelle l’autrice s’est inspirée de lettres, dessins et journaux. Si des épisodes racontés ont réellement eu lieu (comme la soupe de pois volontairement brûlée par la jeune fille pour pouvoir lire plutôt que de cuisiner, signe de désespoir autant que d’insoumission), l’idée peut être d’aller au-delà de cette biographie pour en faire un personnage d’adolescente dans lequel l’on peut se reconnaître. À noter l’ajout d’une postface très intéressante d’Alexandra Sundqvist pour en apprendre plus sur l’artiste.

Ce récit d’émancipation évoque l’acharnement de la jeune fille pour pouvoir continuer ses études et peindre, soutenue en cela par le médecin de famille lui-même amateur d’art. Elle est présentée face à l’incompréhension tant de sa famille que des autres enfants, marquant par là sa différence, sujet aussi délicat qu’intéressant à l’adolescence. L’on peut facilement voir dans ce parcours des résonances féministes. Si une certaine distance peut être visible par l’époque de l’histoire et les contraintes presque triviales de la ferme et du quotidien pesant sur Berta, le récit qui en est fait se révèle intéressant et actuel dans les problématiques soulevées. Une identification, pouvant être importante à l’adolescence, est alors bien possible avec ce personnage. Un parallèle peut même être fait avec la relative méconnaissance hors de Suède de la peintre expressionniste Berta Hansson, que personnellement je découvre ici, dans la place et le rôle alloués aux femmes artistes dans la société et dans l’histoire de l’art.

L’écriture développée par Sara Lundberg est très poétique dès le titre, L’oiseau en moi vole où il veut, et cette image suggérée d’oiseau intérieur et de liberté. Des oiseaux sculptés par la fillette l’on arrive à l’oiseau comme métaphore de son soi intérieur et intime, symbole autant de liberté, de créativité, de fragilité que de majesté avec ses ailes déployées. Ce n’est pas parce qu’il est en elle que cet oiseau n’est pas libre de faire ce qu’il veut et où il le veut ; Berta alors le suit, bien obligée. Le texte est sobre et pudique bien qu’écrit à la première personne du singulier rendant sa lecture d’autant plus touchante et incarnée. Le rythme doux et délicat développé ici dans la narration donne toute leur force aux mots de l’autrice et révèle par là même le grand travail de traduction fait ici.

Les illustrations à la peinture de Sara Lundberg portent avec beaucoup de grâce et de densité ce texte sans jamais tenter de singer l’art de Berta Hansson elle-même, même si l’on peut y retrouver certaines représentations chères à la peintre, comme celle les vaches. La contemplation et la poésie des images complètent ici fort bien le texte. Les aquarelles sont denses et les couleurs vibrantes tant pour les décors naturels que pour les visages et personnages saisissants sans être toujours réellement figuratifs. Les couleurs fortes et parfois peu réalistes peuvent alors faire penser aux peintres du courant Nabi. Tout cela donne à ressentir la sensation et la nécessité de la peinture pour Berta qui explore sa représentation de la nature, qui sculpte des oiseaux.

Ce livre est réellement un album pour adolescent, ce qui peut de prime abord sembler être un oxymore tant l’album est présenté a priori pour les enfants jeunes, qui ne lisent pas encore. L’objet album ici (mais pas seulement là) est pourtant bien adapté tant par son sujet que par son traitement, l’alliance entre texte et illustration propre à l’album pour en développer le sens et la narration semblant aussi nécessaire que naturelle pour évoquer cette adolescence d’artiste. L’album pour grands enfants est encore assez peu répandu mais gagne à se développer quand on voit la force narrative et évocatrice de celui-ci, pouvant peut être devenir objet de médiation et de discussion passionnant.

L’oiseau en moi vole où il veut, Sara Lundberg, traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud, éditions La Partie, 19,50 euros, à partir de 10 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 65 min environ).

Pour plus d’informations sur Sara Lundberg et sur les éditions La Partie.

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