Hao Shuo est une artiste et autrice-illustratrice chinoise ayant étudié aux Beaux-Arts de Pékin et aux Arts Décoratifs de Strasbourg. Son premier album, Guide de survie dans la jungle, paru en 2020 aux éditions 2024, a obtenu une mention spéciale à la dernière Foire du livre jeunesse de Bologne. Elle est également peintre et réalise des installations.

Après son premier livre, voilà donc le Guide de survie dans la ville qui suit le même principe. L’on suit une créature étrange qui s’empare dans sa bibliothèque de la forêt d’un guide de la ville qu’elle rejoint et dont elle parcourt les rues. Au fil de ses pérégrinations, elle va trouver les solutions à tous ses questionnements dans ce précieux manuel. Ce livre navigue entre album et bande dessinée sans texte tout en développant une réelle narration, une intrigue et beaucoup d’humour.

La grosse créature verte et informe a des allures entre le blob et le Barbapapa avec un côté aussi mou que malléable qui la sort de bien des situations. Elle parcourt les rues d’une ville assez impersonnelle avec ce manuel de trucs et astuces, sorte de guide des Castors Juniors, pouvant apporter, ou mettre sur la voie de solutions à tous les problèmes possibles pouvant se présenter dans cette ville. À partir de ce qu’elle voit ou lit dans le guide, elle imagine des parallèles farfelus aux situations face à elle, allant jusqu’à se coiffer d’une serpillère trouvée sur le rebord d’une fenêtre pour imiter un chien à poils longs ou se peigner avec des arrêtes de poisson dénichées dans les ordures.

Il y a bien de la part de cette créature une interprétation fantaisiste du guide que l’on imagine bien plus terre à terre par les croquis que l’on y aperçoit, et là est toute la drôlerie de cette histoire. Le livre dans le livre est compris à sa sauce et adapté avec les moyens du bord ! L’on découvre avec plaisir une grande fantaisie dans cette virée en ville bien amusante où la créature se saisit de son environnement et de ce qui s’y trouve, l’utilise et le modifie. C’est malin, astucieux, amusant et plein d’imagination, ce qui donne une lecture réjouissante et pleine de fantaisie pour petits. L’imagination par association d’idées du personnage rejoint bien celle souvent développée par des enfants. Il y a une confrontation, ou du moins un réel décalage entre le quotidien dans la ville pouvant dénoter d’une certaine rigidité et son utilisation comme d’un terrain de jeu pour l’imagination bien fertile de la créature.

Au-delà de l’humour évident se nichant dans toutes les idées saugrenues du personnage, une certaine forme de poésie se dégage de ce livre. Alors que tout devient possible, certaines inventions poétiques dépassent les solutions données par le guide. Ainsi, la créature va se mêler à la nature en plantant des graines dans sa nouvelle chevelure, laissant la pluie et le soleil faire leur œuvre pour que les plantes lui poussent dessus et lui apportent l’ombre recherchée. Voilà une certaine poésie de l’absurde, de l’impossible, de l’oxymore qui fait sourire bien au-delà de l’humour.

À noter la place prépondérante de la lecture dans ce livre sans texte qui en deviendrait presque une parabole fantaisiste sur la lecture. La créature, plongée dans son livre ou guidée par lui, montre le plaisir de la lecture et ce qu’elle permet, ce que l’on en fait, les interprétations qui en sont possibles. Entre rêve et réalité, l’on se retrouve dans un monde d’une grande fantaisie. À cela s’ajoute la notion du livre dans le livre, mise en abime du manuel lui-même sans texte et dont les conseils sont faits de schémas en tout genre. Voilà une mise en abime que l’on retrouve en couverture du livre où la créature lit le guide en couverture duquel qu’un le lit.

Hao Shuo développe un jeu narratif et graphique très intéressant sur la forme de l’album et sa composition. L’on se retrouve vers la bande dessinée avec une sorte de séquentialisation irrégulière mais très maligne. Beaucoup d’illustrations sont en pleine page avec parfois un détail de case se superposant à un endroit, comme un gros plan intégré dans une illustration plus large. Des enchevêtrements de cases permettent par moment de mêler deux espaces-temps sur la même illustration avec la décomposition et l’évolution d’une action en simultané. Il y a également des doubles pages au découpage par cases plus classique dont l’alternance donne un vrai rythme au récit et aux pérégrinations citadines de la créature. Un jeu avec les cadres se forme par superpositions, entre les cases du livre, celles du livre dans le livre et la ville elle-même très anguleuse. Ce grand et malin travail sur les séquences renforce la dynamique et la drôlerie de cette histoire tout en en permettant différentes lectures.

Les illustrations sont plutôt sobres et peu détaillées avec un trait fin et des aplats de couleurs franches dans des dominantes de vert, rose et jaune encadrées par le fond des pages lui-même rose. En parallèle au jeu sur les cases et séquences mis en place, les images en renforcent l’effet par des gros plans sur certains détails et des jeux d’échelles. L’œil du lecteur navigue dans les illustrations comme le veut l’autrice pour mener à bien sa narration sans texte. À noter la très élégante fabrication du livre avec une couverture pleine toile imprimée et bien plus grande que les pages.

Guide de survie dans la ville, Hao Shuo, éditions 2024, 14,50 euros, à partir de 4 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 69 min d’émission).

Pour plus d’informations sur les éditions 2024.

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