J’ai déjà parlé dans cette chronique l’an dernier de Vincent Pianina pour son impressionnant album Le Secret très secret du maître du secret aux éditions Thierry Magnier. Le voilà ici à l’illustration et associé aux textes à Camille Floue avec laquelle il a déjà publié un précédent album en 2017, La Partie de cache-cache, alors aux éditions hélium.

Voilà, depuis près de deux ans de chroniques ici autour de divers livres pour enfants, que je parle pour la première fois d’un album à destination de la petite enfance. Je recherche dans les livres dont je parle un intérêt autant pour l’illustration, la narration que souvent le concept décliné par l’auteur dans son livre, triple intérêt que je retrouve ici avec d’autant plus de joie qu’il s’agit d’un album pour tout petits. Les plus jeunes peuvent eux aussi avoir accès à des livres beaux et intéressants. Si j’encourage par principe la lecture et le partage par le biais de livres avec les plus jeunes, j’encourage aussi le fait de leur montrer des livres différents.

Dans La Dormeuse, l’on suit une petite fille qui fait un rêve très agité l’emmenant dans une grande aventure nocturne où elle passe par tant de paysages différents, roulant et rebondissant de page en page jusqu’à revenir dans son lit et se réveiller l’air de rien.

L’on se retrouve alors entre aventure rêvée et aventure de somnambule dans cette suite de péripéties en chaîne les yeux fermés. Voilà une série d’éléments faisant suivre à la fillette un chemin qui semble aussi tracé qu’imprévu : du fleuve sur lequel elle dérive, de la cascade d’où elle tombe, de la pente où elle roule, de l’espace où elle est propulsée jusqu’à l’aigle grâce auquel elle s’envole. Une réelle idée de mouvement est développée autour de la petite fille endormie qui se laisse emporter par sa propre impulsion, par les éléments qu’elle rencontre et sûrement par ses rêves où tout est possible, même pour un bébé qui roule, dérive ou rebondit plus qu’il ne court ou saute au fil de cette aventure au cheminement clair mais pas si tracé. L’on est ici entre la roulade, le toboggan et la cascade tous infinis.

La forme du livre et sa mise en page soignée, notamment quant au texte, soulignent et concrétisent cette idée de mouvement. Le livre est d’un petit format carré cartonné très maniable dès un jeune âge, ce qui renforce vite l’effet jeu de l’album à manipuler dans tous les sens. Le texte est ici présenté dans des cartouches jaunes vifs suivant avec souplesse et dans tous les sens les mouvements fluides et les rouler-bouler de la petite fille. Par leur clarté, ces encarts jaunes prennent le sens de flèches à suivre invitant inconsciemment au mouvement dès le tourbillon du titre en couverture entourant la fillette aux yeux clos. Cela donne un livre que l’on manipule naturellement dans tous les sens pour le lire à l’enfant qui va alors pouvoir se l’approprier de cette façon, en le tournant et le retournant, imitant alors la trajectoire sinueuse de la petite fille. Voilà un livre à manipuler au mécanisme simple et visuel donnant beaucoup d’effet et d’humour à la lecture.

Le texte court écrit par Camille Floue est rimé, comme une sorte de comptine ou de ritournelle à déclamer à voix haute lui donnant une grande musicalité. On y retrouve un grand sens de l’oralité, nécessaire pour instaurer un rituel de l’histoire avec un bébé. Si le sens du texte, tel que nous l’entendons, peut rester nébuleux pour un si petit enfant, des repères, sonorités et répétitions se créent petit à petit autour de cette aventure du coucher. Le bébé rêve aussi, ici de ce rêve aventurier oublié au réveil de cette nuit mouvementée autant que réparatrice.

Les illustrations de Vincent Pianina, suivant les guides jaunes d’encarts du texte, présentent un univers pop et assez rétro plutôt réjouissant et assez rarement mis en avant dans les livres pour tout petits. La fillette et son environnement sont représentés avec des contours noirs épais, des formes simples et des contrastes forts, bien visibles des plus jeunes. Les aplats de couleurs vives ont un grain et un effet de chevauchement faisant penser par moment à l’impression en risographie. Si les illustrations restent sobres, des détails savoureux s’y nichent où l’on reconnaît l’univers et l’humour de l’auteur avec, par exemple, des arbres moustachus ou des nuages souriants. À noter l’aspect de représentation important pour l’illustrateur dans chacun de ses livres : la fillette est noire sans que cela soit le sujet de l’histoire, ce qui participe à la représentation de tous les enfants dans leur environnement plus ou moins quotidien dans les livres qui leur sont destinés.

La Dormeuse, Camille Floue & Vincent Pianina, éditions Albin Michel jeunesse, 11,90 euros, à partir d’un an.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 76 min environ).

Pour plus d’informations sur les éditions Albin Michel jeunesse.

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