Mais voilà que je me rends compte que c’est la première fois que je parle ici des éditions L’Articho, que j’aime pourtant beaucoup beaucoup beaucoup ! Cette maison d’édition fut d’abord une association fondée par Chamo et Yassine de Vos, eux-même auteurs et illustrateurs entre autres activités, comme un projet culturel autour de l’image mêlant expositions, ateliers, fanzines et fêtes délirantes. Depuis quelques années, plusieurs albums et bandes dessinées y sont éditées, ce qui m’a notamment permis de découvrir le travail d’Anne Brugni et Charline Collette. L’Articho allie avec joie le drôle, le conceptuel et le ludique dans une alchimie réjouissante.

Oriane Brunat, dont je découvre le travail avec ce livre, son premier publié, est une jeune autrice et illustratrice sortant des Arts déco de Strasbourg. Sa collaboration avec L’Articho par ce projet est née lors d’un stage dans la maison d’édition qui décidément s’entoure très bien !

Voilà un petit album qui joue sur le principe du livre à compter, genre bien courant dans les livres d’apprentissage pour enfants. Ici, l’on compte des petits personnages, les ZoZos, de 0 à 100, dans une succession d’un nombre et d’une action commune à tous par page ou double-page, des plus simples et quotidiennes aux plus farfelues. L’on se retrouve alors entre le livre à compter, l’imagier de situations enfantines plus ou moins courantes et le cherche-et-trouve minutieux dans une lecture ludique et différente selon chaque enfant lecteur qui se l’appropriera.

L’on sent dans ce livre le jeu mis en place par l’autrice dans son processus créatif en lui-même que l’on imagine éminemment précis, voire obsessionnel. Le cadre du livre à compter est bien respecté dans la succession des nombres, leur apparition en chiffres, en toutes lettres et en nombre de ZoZos sur une même séquence. À cela s’ajoute une jeu sur les sonorités, toutes les phrases étant écrites comme si le lecteur zozotait avec une allitération de Z qui donne tout leur sel à de nombreuses situations et renforce l’effet de répétition. Il y a là une boucle répétitive à l’excès où l’on finit par se perdre délicieusement dans le compte et le dessin, se raccrochant alors ou non aux nombres qui défilent. Le livre en devient un jeu d’observation pour l’enfant lecteur, dont ce fonctionnement obsessionnel peut sembler assez courant à un jeune âge. L’enfant peut tout-à-fait compter les ZoZos à chaque page, ils seront tous bien là, ainsi que les 1424 gouttes de pluie sous lesquelles se trouvent treize d’entre eux. Cela commence dès le titre répétitif, indiqué sur le dos du livre, et la couverture uniquement couverte de ZoZos courant en file que l’on cherche déjà intuitivement à compter ou à identifier les uns des autres pour appréhender l’album avant même de l’ouvrir.

Est mis en place un jeu d’accumulation et de répétition amusant, facétieux mais parfois aussi poétique dans le décalage amené par l’autrice. L’humour ici est absurde et redondant comme dans une ritournelle. L’on commence par « Zéro ZoZo » et donc logiquement aucune action associée mais un petit décor indistinct, peut-être quelques brins d’herbe au centre de la page, comme une entrée en matière un peu énigmatique avant le défilé fou des ZoZos. Cela pour finir par « Cent ZoZos ferment les volets » où l’on ne voit plus qu’un grand immeuble à la centaine de fenêtres occultées, pouvant donner envie de reprendre le livre du début par cette boucle formée sur ce que l’on imagine être une journée. À chaque page l’on attend alors le nouveau ZoZo rejoignant les autres et justifiant de façon plus ou moins logique par leur nombre et leur addition leur action commune suivant la précédente. Ainsi, « Deux ZoZos se disent bonzour », « Quarante ZoZos attendent que ça sonne » mais aussi « Soixante-seize ZoZos bondissent ». Les petits personnages vivent leur vie ensemble ou en parallèle selon des actions très quotidiennes comme le fait de manger, jouer ou aller à l’école mais parfois aussi plus imprévisibles et fantaisistes. Le contraste entre le cadre strict du livre à compter, certaines situations très courantes où sont représentés les ZoZos et la liberté folle que se laisse l’autrice dans certaines actions ou mises en scènes est totalement réjouissant.

Le trait au rotring d’Oriane Brunat est fin, simple et peut tendre vers le minimalisme à première vue. Tout fonctionne dans la répétition et l’indifférenciation de ces petits personnages schématiques pouvant évoquer la série des P’tits Bonzoms de Chihiro Nakagawa et Junji Koyose aux éditions Rue du monde. Ces personnages minuscules, sans expression et très souples peuvent se prêter à toutes les acrobaties imaginées par l’autrice. Mais, dans cette apparente simplicité se cache une mine de détails amusants à débusquer ! Un jeu de différences se met en place alors qu’ils font tous plus ou moins la même chose sur une page. Cela pousse à l’observation attentive et minutieuse du lecteur à partir d’un dessin de prime abord simple. Ici, l’autrice développe tout son art de la composition selon les pages, les nombres, la quantité des ZoZos, leurs actions et ce que cela implique quant à leur position dans la page. Un jeu de contraste prend place entre le vide et le plein, la solitude et la foule, par le cadrage de tous ces ZoZos parfois tout en haut, parfois tout en bas, dans cette masse grandissante qui envahit peu à peu tous les recoins des pages successives. La mise en page est maligne et très bien pensée en cela qu’elle s’efface à la lecture pour porter pleinement celle-ci et tout son humour.

À cela s’ajoute une très belle fabrication de l’album, comme c’est toujours le cas avec les éditions L’Articho qui portent un grand soin à l’objet livre, ce qui n’est que pour me plaire plus encore. Voilà donc un petit format carré avec en couverture un dégradé de couleurs pastels fluos reprenant celles des pages changeant à chaque dizaine de ZoZos écoulée. Un soin particulier est de plus porté à la typographie et aux chiffres eux-mêmes dessinés par Yassine de Vos.

Voilà donc ici que, au-delà de l’exercice de style particulièrement réussi, par le jeu et la répétition, les mathématiques deviennent aussi malicieuses, mignonnes que très amusantes !

Beaucoup Beaucoup Beaucoup, Oriane Brunat, éd. L’articho, 20 euros, à partir de 3 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 73 min environ).

Pour plus d’informations sur Oriane Brunat et sur les éditions L’articho.

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