Guillaume Chauchat est auteur et illustrateur de bandes dessinées, dont la trilogie Il se passe des choses aux éditions 2024, de livres illustrés et pour la presse. Il utilise différentes techniques avec brio selon les projets, que ce soit un dessin à la plume fin et précis avec des jeux sur la graphie ou une peinture au large pinceau plus brute. Il réalise aussi des installations et sculptures, notamment en fil de fer, et enseigne l’illustration aux Arts Déco de Strasbourg, dont il est issu. Ses recherches graphiques et narratives sont passionnantes, allant parfois vers une forme d’abstraction.

Dans La Villa Nuit, voilà que le petit Jean, à côté de sa vie quotidienne semblant plutôt monotone, dès qu’il s’endort, rêve d’une autre réalité où sa maison et tout ce qu’elle contient s’animent, jusqu’aux plus infimes choses avec lesquelles il joue, parle et interagit. Cette double vie rêvée se trouve chamboulée par la disparition progressive et inexpliquée de tout ce qui fait cette villa, petit à petit, une petite chenille d’abord, puis divers objets, au fil de ces nuits mouvementées.

Le mécanisme narratif est ici aussi intéressant que très bien utilisé par l’auteur. Si l’idée d’alternance entre rêve et réalité est assez fréquente dans les livres illustrés, elle prend ici une dimension toute autre. Le quotidien de l’enfant n’est ici vécu que comme une attente de la nuit et du monde du rêve, sorte de routine sans réel développement du déroulé précis de chaque journée. La présence des parents de Jean est elliptique ; l’on n’en aperçoit qu’une main tenant celle de l’enfant sur le chemin de l’école. Le seul autre personnage humain de l’histoire avec lequel l’enfant interagit est un camarade de classe à la fin du livre qui lui parle alors de ses propres rêves. Comme un compte à rebours avant de changer de réalité, la préparation du coucher est très décomposée, utilisant à merveille la narration en bande dessinée, jusqu’au fait d’appuyer sur l’interrupteur pour éteindre la lumière. L’on retient alors son souffle à l’arrivée de la nuit, intrigante et tant attendue. Quand elle survient enfin, le monde parallèle du rêve de l’enfant est conçu avec sa propre réalité dans laquelle il mène une sorte d’enquête sur les évaporations inexpliquées de choses. Est entamée une sorte de course effrénée avant la disparition de tout, sur un rythme tout autre que celui des journées. Les objets sont alors personnifiés, Jean dialogue avec eux sans plus de questions, jusqu’à une larme ou goutte qui finit par prendre corps et l’accompagner. Si tout est possible en rêve, tant pour Jean que pour l’auteur, cela se matérialise d’autant plus face à ces disparitions et au vide laissé dans l’espace, comme une nouvelle page blanche à écrire.

Cette enquête en rêve laisse apparaître des questionnements existentiels propres à l’enfance autour de l’oubli, des souvenirs, voire, peut-être, du déménagement et de ce que l’on garde de sa vie d’avant, entre le rêve d’un endroit quitté et l’évolution des souvenirs qui s’évaporent peu à peu.

Le sujet même du rêve pousse ici à l’interprétation, aux questionnements sur l’inconscient, l’essentiel et l’existentiel, le signifiant et le signifié. La pirouette narrative devient alors sujet de réflexion au-delà de ce qui nous est raconté par ce biais malin et fort bien utilisé. L’étrangeté est ici inquiétante, ce qui pousse à l’interrogation, à l’enquête de Jean comme du lecteur sans pour autant que le rêve ne vire au cauchemar. Il y a là du conte surréaliste comme un jeu d’interprétation mis en place par l’auteur et ouvrant de multiples possibilités à chaque lecteur.

Ce livre au format d’une première bande dessinée peut toutefois être lu en lecture partagée par son texte sobre et ses dialogues clairs. Il permet une réelle première approche de la séquentialisation. Si le sujet en lui-même peut sembler flou et mouvant dans cette autre réalité du rêve, l’enchaînement des séquences régulières et parfois répétitives renforce tant l’aspect jeu que la facilité d’appropriation de la lecture par de jeunes enfants dont l’œil peut d’abord être habitué à lire les images. Le gaufrier, sans gouttière ni contour, est régulier avec six cases par page de même taille, entrecoupées de quelques pleines pages. Cette organisation de cases serrées renforce l’enchaînement intuitif des actions à la lecture tout en apportant un effet graphique fort et clair.

L’alternance entre réalité et rêve, peut-être lucide, apparaît ici simplement, par toutes les composantes graphiques de cette bande dessinée jusqu’aux couleurs tranchées irréelles en aplats qui, dans les songes, évoluent entre les différents objets, donnant corps à cette autre réalité mouvante du rêve. Cela nous interroge sur la logique ou l’aléatoire de tout cela tant pour le personnage que pour l’auteur. D’autant qu’au-delà des contours épais à la peinture, une grande place est laissée au blanc, que ce soit dans le quotidien sans couleurs autre que pour les cheveux de l’enfant ou dans ses rêves où le blanc témoigne du vide qui s’y développe par les disparitions successives.

Dans cette drôle de poésie de Guillaume Chauchat confinant à une forme de surréalisme, l’on se retrouve alors entre un Bonsoir Lune tragique avec l’adieu à chaque objet, une évocation des Choses de Georges Perec, voire une villa du Corbusier magique virant à l’abstraction entre des pages de garde évoquant Mondrian. Un livre malin et fascinant tant dans son concept que dans l’impeccable réalisation de celui-ci.

La Villa Nuit, Guillaume Chauchat, éd. Biscoto, 16 euros, à partir de 6 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 62 min environ).

Pour plus d’informations sur Guillaume Chauchat et sur les éditions Biscoto.

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