Danslecieltoutvabien est un illustrateur dont je suis le travail depuis quelques années. Il a auto-édité de nombreux fanzines autour de ses paysages saisissants virant parfois à l’abstraction dont l’un des premiers projets a donné son nom d’auteur. Il a également participé à l’organisation du très bon Fanzines ! Festival pendant une dizaine d’années à Paris. J’attendais beaucoup son premier album narratif réalisé lors d’une résidence à Marseille avec La Marelle et Fotokino.

Après un texte d’introduction nous y préparant, nous voilà plongés ici dans ce long et grand voyage. Comme un panorama, le paysage défile en continu, sous nos yeux ébahis, sans plus de texte. L’on y suit une famille durant la préhistoire qui, dès les prémisses de l’hiver, chemine vers le Sud. S’en suivent tant d’événements et de rencontres sur fond de lien fort avec leur environnement dans son ensemble et les saisons qui défilent.

Le monde y est sauvage ; il présente une certaine rudesse mais dégage aussi une forme de lenteur et d’apaisement qui s’empare de nous en suivant ce groupe qui chemine inlassablement, qui observe, se repose ou chasse au fil de ce périple. Le voyage prend du temps et à son fil, l’on suit l’évolution des paysages, de la météo, de la faune et de la flore. Le récit s’avère aussi contemplatif que fascinant pour le lecteur scrutateur à l’affut des petites et grandes actions des personnages et de ce qui les entoure. Les découvertes du lecteur sont celles des personnages qu’il suit selon ses lectures avec tant d’épreuves ou d’obstacles que l’on observe fasciné. Cette expédition est rythmée par les cycles et évolutions de la nature : du jour et de la nuit, des saisons et de l’année avec l’arrivée de la neige ou de catastrophes naturelles.

Le lecteur est ici spectateur de cette épopée sans texte mais pas sans narration, le titre et l’introduction mettant parfaitement sur la voie et dans l’ambiance du récit. Dans la tradition du livre promenade, l’on s’imprègne de ces grands espaces riches en détails, des atmosphères instillées dans les pages par l’auteur. Ce livre très immersif et intense graphiquement offre alors une belle ouverture esthétique et à l’imaginaire aux enfants à des âges pouvant être assez différents. La lecture sans texte peut évoluer selon les moments et les lecteurs avec cette appropriation immédiate de la lecture de l’image par des enfants parfois jeunes, automatisme qui peut se perdre quand on commence à lire. Qu’il est alors intéressant de partager cet album avec un enfant ici lecteur actif. Il s’agit alors d’être attentif à ce qu’il remarque, aux personnages qu’il suit (tous présentés au début, incitant à cette identification), de suivre l’œil, le rythme voire les exclamations de l’enfant lecteur, la lecture silencieuse n’étant pas souvent inexpressive. Il y a alors de nombreuses façons de s’approprier la lecture de ce livre !

D’après l’introduction, l’on se trouve ici en Europe il y a des milliers d’années, parmi des glaciers par endroits, dans ce cheminement de la famille jusqu’à la rencontre finale avec un autre groupe humain. Il y a là des dimensions tant historique, écologiste qu’humaniste. L’on peut y voir une comparaison avec notre monde actuel, ce lointain passé nous étant montré comme un système d’égalité entre hommes et animaux. À cela s’ajoute par ce voyage une métaphore de l’évolution et du développement de la société par des adaptions, échanges, rencontres, déplacements et migrations.

Les illustrations de l’auteur prennent ici littéralement toute la place dans cet album. Les pleines doubles pages s’enchaînent sans texte donc ni même de bordure, cela renforçant l’effet immersif du livre. Cette suite de scènes et de paysages, accentuée par le format à l’italienne, aurait pu donner lieu à un leporello mais la pagination apporte un rythme elliptique, une temporalité intéressante par le fait de tourner les pages et de choisir le moment où le faire dans le mouvement continu de cette longue marche. La continuité de page en page est réfléchie dans tous ses détails, jusqu’au placement précis des personnages par exemple. L’on peut penser alors aux premiers jeux vidéo de plateforme où le décor se déplace en suivant le personnage qui, lui, semble seulement se mouvoir. Chaque élément dessiné apporte un sens au récit, est nécessaire en soi : le type de végétation peut ainsi renseigner sur le lieu ou un nuage laisser présager d’une tempête…

Le trait de Danslecieltoutvabien est fin, élégant et détaillé dans cette ligne claire colorée aux feutres. Des jeux de lumière impressionnants sont mis en place par les couleurs utilisées entre la clarté de la neige, l’obscurité de la grotte éclaircie par un feu, le coucher du soleil, la nuit noire ou la tempête obscurcie. Une grande importance est d’ailleurs donnée aux paysages célestes et non uniquement à ceux terrestres : l’évolution dans le voyage vient également du ciel avec la tombée de la nuit ou la tempête que l’on peut voir venir. Par ces illustrations, faisant parfois penser à certains paysages fantastiques de Mœbius, la préhistoire et la science-fiction se rejoignant alors, beaucoup de poésie et un fort sentiment de liberté se dégagent de la lecture de ce livre.

Un Long Voyage, Danslecieltoutvabien, éd. Les Grandes Personnes, 22 euros, à partir de 4 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 70 min environ).

Pour plus d’informations sur Danslecieltoutvabien et sur les éditions Les Grandes Personnes.

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