Je suis le travail d’autrice et d’illustratrice de Géraldine Alibeu depuis un moment mais je trouve qu’ici il prend une réelle ampleur et me permet de le redécouvrir avec grand plaisir. Elle a déjà illustré ou écrit de nombreux albums chez divers éditeurs, dont la Joie de Lire, le Seuil jeunesse ou À Pas de loups.
Dans L’autre Côté de la montagne, on suit deux sœurs qui partent seules pour la première fois en randonnée en montagne pour une semaine. On les suit par les chemins empruntés plus ou moins escarpés, au fil des refuges et des embûches se présentant sur leur passage.
Elles ont conçu cette expédition de plusieurs jours sur les traces de leur tante dont elles ont découvert les carnets narrant les expéditions. L’on sent alors une grande préparation dans cette découverte des Alpes entre souvenirs d’enfance et attrait pour ces montagnes. Les fillettes découvrent et appréhendent tout ce qui fait cette montagne, sa faune, sa flore, ses sentiers, son climat… Dans leur préparation et leurs pérégrinations, l’on sent une grande fascination pour les objets, de la carte IGN presque abstraite que l’on apprivoise à la boussole. Ces objets sont précieux et limités tant le paquetage est serré mais semblent rassurants et presque nostalgiques. Malgré tout, les jeunes filles ne s’avèrent finalement pas si bien préparées face au déchainement des éléments où elles se retrouvent bien moins équipées que les autres randonneurs rencontrés dans les refuges.

Dans cette expédition à deux, il est question d’entraide, de lien et de sororité face à l’aventure, à sa beauté et à sa difficulté. Voilà deux sœurs que l’on imagine à l’aube de l’adolescence, aussi proches par moment que différentes, encore enfants mais cherchant la liberté et l’émancipation. Cette randonnée peut être perçue comme un voyage initiatique pour elles qui va forger et renforcer tant leurs liens que leurs souvenirs prochains. Voilà une montagne à gravir, à franchir, à contourner, à entourer, à découvrir ensemble. C’est alors une marche au cours de laquelle elles vont grandir, s’émanciper et se découvrir elles-mêmes et l’une l’autre côte à côte. L’aventure ici est autant celle de la randonnée organisée et imprévue des deux jeunes filles qu’une aventure intérieure et intime. Elles se retrouvent face à cette nature qu’elles regardent, dont elles admirent les détails et les différents pans.
Un lien intime se crée entre elles deux, seules face à cette nature, ainsi qu’un lien filial fort avec leur tante, qui n’est pas présente mais à l’origine, par ses carnets de voyage, de leur escapade. Il s’agit tant de marcher dans les pas de cette tante que de tracer son propre chemin. Le texte de Géraldine Alibeu fait alors preuve de pudeur et de sensibilité. L’aventure est d’autant plus belle qu’elle se base sur les souvenirs de la tante et avec sa propre carte, datant de dizaines d’années auparavant. Si la randonnée est bien préparée avant le départ, une grande marge d’incertitude reste : la carte est-elle toujours à jour ? Les sentiers, ponts et refuges sont-ils toujours là où ils étaient indiqués ? Peu à peu, la carte au début obscure est apprivoisée dans cet espoir, notamment lors de la recherche d’un refuge alors que la nuit tombe après que le chemin prévu se soit avéré impraticable. L’on est ici entre l’attachement aux souvenirs, aux origines et la volonté d’émancipation et de débrouillardise des fillettes.

Si elles ne vont pas au bout du périple prévu, cela n’est aucunement un échec pour elles. Leur aventure a bien eu lieu, faite d’entraide plus que de découragement. La réussite est alors dans ce moment passé ensemble, dans tout ce qui s’y est créé sans forcément être dit. L’on en ressort avec un grand sentiment de liberté, d’évasion, d’ouverture vers les possibles et de rêves plus que de résultats matériels.
Le rythme du récit développé par Géraldine Alibeu peut sembler reprendre la cadence de cette longue marche. Le texte est plus dense sur certaines pages puis il y a quelques longues pauses jusqu’à quatre doubles pages à la suite sans texte, rien qu’avec des paysages de montagne à admirer, comme des respirations devant toute cette majesté naturelle. Le rythme de la narration est plutôt lent, suivant la marche ; l’on peut alors prendre le temps de regarder les illustrations, saisissantes dans leur effet général mais aussi dans leurs détails figuratifs et de matières ou reliefs.
Les illustrations de Géraldine Alibeu se développent de façon impressionnante dans cet album de grand format où l’on se sent dès le début immergé dans l’ambiance et les décors voulus par l’autrice. On plonge avec elle dans la montagne. Elle alterne entre des pages plus intimistes, entre les deux sœurs, parfois dans des refuges, et des doubles pages uniquement des paysages qu’elles doivent voir. L’on devine que parfois, les sœurs regardent cette nature plus qu’elles ne parlent entre elles, suivant le rythme de leur marche au long cours. À cette alternance répond celle des techniques utilisées autour de la peinture et du collage. Les paysages sont faits d’aplats à la peinture sans contours dans des couleurs franches pour montrer tous les reliefs, ombres et escarpements. Seule la montagne se détache de ces pages sur le blanc du fonds, sans ciel ni premier plan. La montagne en devient presque abstraite : elle est schématique mais détaillée dans ses anfractuosités et couleurs peu réalistes faisant parfois penser à un coucher de soleil tombant sur elle, montagne virant au fantastique. Reste alors le relief à gravir et la vue merveilleuse à regarder. Les plans plus resserrés sur les scènes entre les sœurs sont faits de collages de différents types de papiers et peintures donnant beaucoup d’effets de matières, des coups de pinceaux visibles pour les mouvements de l’eau de la rivière au calque pour le brouillard épais. Cela donne autant de relief que d’intensité aux illustrations que l’on se plaît à détailler. Ces plans et cadrages évoluent au fil de la narration : la carte, par exemple, peut ainsi sembler motif abstrait en gros plan, puis détail reconnaissable sur un plan plus large.
L’autre Côté de la montagne, Géraldine Alibeu, Cambourakis, 18 euros, à partir de 8 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 70 min environ).
Pour plus d’informations sur Géraldine Alibeu et les éditions Cambourakis.
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