Je parle régulièrement ici de livres des éditions les Fourmis rouges pour les découvertes de nouveaux auteurs et illustrateurs qu’elles me permettent régulièrement avec joie. Mais leur catalogue est aussi l’occasion de retrouver des auteurs et illustrateurs que j’aime déjà et de redécouvrir toujours leur travail.
Voilà donc ici Alex Cousseau, dont j’ai déjà parlé l’an dernier pour son très bel album Murdo avec Éva Offredo. Auteur de nombreux albums, réalisés avec des illustrateurs dans des styles tous très différents, et de romans jeunesse, il se caractérise à chaque fois par sa grande sensibilité, sa justesse et son goût pour les mots et leur sens. Anne-Lise Boutin, qui a déjà travaillé avec lui sur certains livres, est illustratrice de nombreux albums aux éditions Rue du monde, du Rouergue ou Sarbacane notamment mais aussi de documentaires chez Actes Sud junior principalement et travaille aussi pour la presse.
Dans Les Frères Zzli, l’on suit ces trois (ou peut-être quatre) frères grizzlis qui viennent de très loin, d’on ne sait pas vraiment où, et sont accueillis par une petite fille vivant seule dans une bien trop grande maison dans la forêt. Elle leur fait des crêpes, ils réparent la balançoire ou installent des nichoirs pour les oiseaux et tous sont bien heureux de cette nouvelle vie ensemble faite de rires et de bons moments partagés. Mais les voisins de la forêt se méfient de ces ours peu habituels dans leur contrée ; ils en ont peur et veulent les chasser de là. Les frères Zzli, la petite fille et son amie la chauve-souris finiront alors par partir sans regrets de cette forêt à la recherche d’un nouveau foyer plus accueillant où s’établir tous ensemble.

Sous des allures de conte et d’aventure, d’humour et d’amitié, voilà des thématiques sociales et de société traitées avec beaucoup de finesse par l’auteur pour les aborder avec des enfants. Il est ici bien question de l’accueil des migrants et plus largement du rapport aux autres, à l’étranger. Avec la petite fille, renommée Bienvenue comme l’inscription sur son paillasson, l’on se prend d’affection pour ces ours, bien aimables et volontaires après un si long voyage et les périls qu’on y devine. Elle les traite comme de nouveaux compagnons, les accueille chez elle et les laisse participer et prendre place dans sa vie qui semblait un peu morne et solitaire et qui devient joyeuse et tourbillonnante. Et, au fil de l’histoire, l’on se rend compte qu’au-delà de cette bulle de douceur, de drôlerie et de bienveillance qu’est la maison de Bienvenue, il y a le voisinage, bien moins accueillant. L’on prend alors à la lecture fait et cause pour ces ours contre le rejet, la peur et les préjugés des voisins intolérants qui vont jusqu’à mettre le feu à la maison. Il y est question d’exil : d’abord bien sûr celui des ours, depuis longtemps semble-t-il, puis de la petite fille qui les suit, préférant ses nouveaux compagnons au voisinage de sa maison ayant montré un visage si peu humain. L’on évoque alors la solidarité, le partage et donc l’espoir et l’optimisme, pour ces trois ours, pour la petite fille et pour toute la société. Voilà un texte engagé pouvant raisonner avec l’actualité qui peut beaucoup intriguer, voire inquiéter, les enfants n’en saisissant parfois que des bribes.
Ces sujets de société sont ici remarquablement amenés dans une histoire que l’on peut voir dans sa forme comme le pendant du conte Boucle d’or et les trois ours. Ici, c’est la fillette, aux cheveux noirs, qui va accueillir les trois ours dans sa maison et partager son quotidien avec eux. Les frères Zzli, aux accoutrements bigarrés, sont généreux, drôles et fantaisistes, se présentant comme quatre alors qu’ils ne sont que trois, peut-être parce qu’ils mangent ou ronflent bien comme quatre… Avec ces personnages hauts en couleurs, Alex Cousseau reprend le rythme du conte avec une narration fluide, drôle et très musicale et de nombreux rebondissements et épreuves dans ce texte fait pour être déclamé à voix haute. Des répétitions rythment le récit, comme une sorte de ritournelle où les trois ours répondent tour à tour à presque tout « Oui », « Non » et « Peut-être ». Toute cela donne un ton léger, presque sautillant où l’on se retrouve à certaines pages confrontés à leur dure réalité.

Dans cet album, l’on n’est pas dans le tragique, l’on rit beaucoup de la complicité et des facéties des ours et de la petite fille, même si la tristesse point au contact de l’extérieur de cette maison enchantée et des voisins malveillants. Les personnages sont représentés en ours, cela permettant aux enfants lecteurs de mettre une certaine distance avec la réalité et les humains. L’on n’est pas dans le documentaire sur l’exil mais bien dans une histoire pouvant permettre si on le souhaite d’aborder ce sujet. Malgré cela, beaucoup d’espièglerie, de joie et de tendresse se dégagent de cette lecture. Voilà une façon d’aborder le thème sans pathos et sous couvert d’une histoire que l’on se plaît à raconter, ce qui ne rend le sous-texte que plus saisissant. Ce décalage met alors encore plus en lumière l’absurdité de la réaction des voisins. Il s’agit d’aborder simplement des questions de société avec tant de finesse que de délicatesse. Beaucoup d’espoir peut se dégager de cette lecture, aussi nécessaire, vibrante que très amusante pour petits et grands.
Les illustrations d’Anne-Lise Boutin portent et complètent à merveille le texte de cet album. Elles sont très détaillées, aux contours fins, avec des décors foisonnants et réjouissants de la nature et de l’intérieur de la maison. Les couleurs en aplats sont franches et tranchées, pas toujours réalistes, ce qui donne une nature luxuriante et fantaisiste. Des fonds de couleurs des doubles-pages se détachent des cadres renforçant un certain aspect suranné ou hors du temps. L’on peut penser visuellement à certains illustrateurs russes du début du XXe siècle travaillant autour de contes et légendes dans une forme de naïveté totalement réjouissante. À noter la fabrication et notamment la couverture très réussie avec un vernis sélectif du plus bel effet et un typogramme du titre où les lettres de « Zzli » sont aussi poilues que les trois ours !
Les Frères Zzli, Alex Cousseau & Anne-Lise Boutin, éditions Les Fourmis rouges, 17 euros, à partir de 5 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 74 min).
Pour plus d’informations sur Alex Cousseau et sur les éditions Les Fourmis rouges.
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