J’ai déjà parlé ici des éditions du Rouergue pour leurs publications jeunesse, notamment en albums, souvent surprenantes et parfois inattendues dans le paysage de l’édition jeunesse française. Au-delà des auteurs et illustrateurs dont le travail est suivi régulièrement par la maison d’édition, celle-ci m’a permis de découvrir les propositions de jeunes auteurs passionnants.

Voilà donc ici le premier album de Marie Boisson, dont j’ai découvert le travail à cette occasion. Après des études aux Arts Décoratifs de Strasbourg, elle est désormais peintre et illustratrice pour la presse et pour l’édition et réalise des illustrations saisissantes dans leur finesse et leur usage des couleurs.

Dans La Visite, l’on suit une famille en passe d’accueillir un nouvel enfant qui vient visiter une maison plus grande que la leur dans cette optique. La maison va s’avérer aussi farfelue que son propriétaire qui la présente sous le regard médusé des parents et de la petite fille. Si les maisons sont souvent assez fascinantes dans les livres pour enfants, l’idée même de la visite immobilière n’est a priori pas la plus attirante. Mais voilà ici une visite aussi atypique que réjouissante et inattendue dans cette narration précise et amusante mise en place par l’autrice.

Dès la couverture, le décor est posé sur le principal personnage de cette histoire : la maison, qui, plus qu’un décor, prend vie sous nos yeux étonnés ! On y voit cette maison aux contours simples, faisant penser aux premiers dessins d’enfants d’une maison carrée, sans perspective, avec un toit en triangle, une porte, des fenêtres régulières et une cheminée. Toutefois, des fenêtres ouvertes l’on devine un foisonnement de l’intérieur de cette maison attisant toute la curiosité du lecteur devant cette couverture.

Au fil de l’histoire, l’on va et vient avec la famille en suivant le propriétaire en visitant une nouvelle pièce à chaque double page amenant son lot de surprises, découvertes et amusement. La visite, aussi longue que la maison semble grande, devient de plus en plus délirante, entre les détails techniques de certaines pièces et une douce folie développée dans l’intérieur du propriétaire actuel.

Marie Boisson développe un humour absurde et très tendre pour cette maison que l’on aimerait bien nous aussi visiter, tant cela semble amusant. L’on est entre rêve et réalité face à cette bâtisse délirante ou désirée par le propriétaire comme par les visiteurs, jusqu’au bétail tranquillement installé dans le débarras. Ce qui s’y passe est-il alors bien réel ? L’incongruité des situations se met en place dans un temps qui semble assez long, peut-être sur une journée, l’étonnement venant progressivement face au propriétaire qui prend un bain dans la salle d’eau ou qui prend le temps de faire une sieste dans l’une des chambres… Il y a là une forme d’effraction dans l’intimité du propriétaire qui ne fait rien pour la camoufler. Sa maison semble agencée totalement pour lui ; rien n’a été rangé ou caché en perspective de la visite pour ne surtout pas éviter les surprises aux visiteurs ! Si lui semble avoir hâte de présenter cette intimité, une certaine gêne ou perplexité autant qu’une grande curiosité devant cette étrangeté s’empare progressivement de la famille et du lecteur. Voilà un humour de situation virant à l’absurde mené avec une fantaisie réjouissante.

Avec beaucoup de finesse, de légèreté et d’humour, est dressé un portrait du propriétaire entre solitude et grande malice. Il fait visiter sa maison comme un spectacle qu’il déclamerait sur une scène de théâtre. Il y a une prise de conscience progressive des spectateurs (la famille et les lecteurs) de la farce, du stratagème mis en place par le drôle de propriétaire, totalement infatigable tout au long de sa folle visite. Si son désœuvrement semble aussi grand que sa maison où il apparaît bien seul face à tant d’accumulation, son stratagème pour s’occuper tant qu’occuper sa demeure est bien malin. Il aime sa maison dans tous ses recoins, ses détails, ses bizarreries et agencements qu’il se plaît à détailler et à présenter avec autant de fierté que de redécouverte via les yeux des visiteurs.

La maison nous semble ici sans fin. Il y a toujours une nouvelle pièce plus ou moins incongrue à visiter après les quelques classiques imposés de la visite immobilière. L’on va alors jusqu’à la pièce de théâtre en cours, comme une mise en abîme du jeu du propriétaire. L’histoire pourrait continuer longtemps dans cette accumulation drolatique de pièces et de leurs usages étonnants. C’est sans compter sur l’art de la narration développé par l’autrice s’amusant d’une fin abrupte à cette accumulation. L’on se retrouve finalement dans une sorte de boucle sur la journée qui pourrait recommencer le lendemain avec de nouveaux visiteurs et spectateurs.

Les illustrations de Marie Boisson pour représenter cet intérieur délirant sont aussi élégantes que pleines de fantaisie. Le trait fin et détaillé renforce l’effet d’accumulation dans les différentes pièces de la maison. Cela est rehaussé d’aplats de couleurs franches et d’un pantone orange ainsi que d’effets de matières avec quelques collages par endroits. Un travail très intéressant est fait sur les contrastes, sur le décalage entre les contours et les couleurs pour permettre des mises en avant de certains détails. L’on se retrouve alors, en parallèle à l’histoire, devant une sorte d’imagier délirant de la maison et de ce qui s’y trouve avec tant d’intrus à débusquer dans chaque pièce dans une forme de jeu facétieux.

La Visite, Marie Boisson, éditions du Rouergue jeunesse, 15 euros, à partir de 4 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 67 min).

Pour plus d’informations sur Marie Boisson et sur les éditions du Rouergue.

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