Julie Safirstein est une artiste plasticienne qui utilise de nombreuses techniques et supports différents dans ses créations. L’album jeunesse fait alors partie de ces nombreux supports, avec notamment le très beau La Nuit, le Jour, tout autour, paru en 2014 aux éditions hélium ou Bloom, paru plus récemment aux éditions du Livre, ainsi que des livres d’artiste aux éditions Maeght. Elle est également peintre et réalise diverses installations. Quels que soient les genres utilisés, son travail se remarque par son usage des couleurs qui me saisit tout particulièrement.
Et j’ai rêvé le jour, avec tout l’intérêt graphique et de recherche plastique du travail de Julie Safirstein, peut être vu comme une parabole sur la création du monde. Tout y commence par un point, avant lequel il n’y a que du noir, néant d’avant le monde. Puis, rapidement, c’est le chaos, l’explosion d’où naissent d’autres points, des couleurs, des formes, du mouvement, un alphabet, jusqu’à des personnages, animaux ou objets plus concrets. Enfin, tout s’obscurcit doucement jusqu’à retomber dans le noir, fin de cette boucle sur la journée, la vie ou le monde, selon ce que l’on veut y voir.
Il s’agit ici de raconter le monde pour répondre aux questions existentielles des petits sur nos origines, sur celles du monde et de la vie. Sont utilisées pour cela des formes ou notions simples comme autant de personnages : des points, lignes ou couleurs. Leurs évolutions et interactions explicitent des notions complexes avec autant de finesse que de poésie. Le texte est sobre, fait de phrases courtes et de suggestions. Sa force est décuplée par les illustrations qui jouent avec lui pour le renforcer, le cacher, le dévoiler en tout ou partie selon les moments. Il en ressort autant de poésie, de douceur que de précision et de fascination.

La notion même du rêve, introduite dès le titre du livre, Et j’ai rêvé le jour, n’implique pas l’exactitude ou l’exhaustivité scientifique. Nous sommes bien là en présence d’un album, d’une histoire, et non d’un livre documentaire. La cosmogonie mise en place par l’autrice comme un récit fondateur sur la création du monde permet d’en appréhender les contours tout en s’émerveillant de cet infiniment petit arrivant à un monde et ses détails. Le big bang est ici aussi graphique que bien concret. L’on part du chaos pour arriver à une sorte d’ordre naturel, d’harmonie. L’on se retrouve alors autant à évoquer l’univers et ses détails que la création-même de celui-ci. Si le sujet, comme son traitement, peuvent sembler bien abstraits pour des enfants, ils répondent par la cosmogonie aux questions et parfois peurs ontologiques et essentielles des plus jeunes. Il y a là une réponse à une quête de sens autour de ce qui fait l’univers et notre place en son sein. Il y est finalement plus concrètement question de naissance, d’éléments qui prennent forme sous nos yeux ébahis, d’évolution.
Le monde tel que raconté ici l’est du point de vue du premier point, peut-être atome, par lequel tout commence. Le texte est écrit à la première personne, du point de vue du point narrateur. Le rêve du titre est alors sûrement le sien. Voilà donc le monde et sa création vus de sa plus infime et pourtant essentielle partie. L’on oscille entre le « je » et le « nous », le point faisant de plus en plus partie d’un tout bien plus grand au cours de la narration.

Il est question d’ordre, d’ordonnancement et du cycle de la vie et de l’univers dans un parallèle avec la boucle narrative créée par Julie Safirstein. Il n’y a pas d’angoisse de la fin, qu’elle soit celle du livre, du jour, de la vie ou du monde. Alors que le noir retombe, l’on pourrait bien recommencer la lecture du début du livre comme un nouveau cycle de cette boucle infinie.
En allant plus loin, l’on peut avec ce livre faire un parallèle entre ce récit des origines et la création artistique, peut-être ici celle de l’autrice. Nous voilà entre formes, couleurs et matières, entre détails infimes mais si importants, mélanges et alchimie. Mais il est surtout question du processus, de la boucle où tout est nécessaire en partant de rien pour arriver au tout complet.
Ce propos est mis en valeur par le minimalisme graphique éclatant de Julie Safirstein avec l’usage de différentes techniques. Elle se base sur des illustrations sobres, voire schématiques, des formes du début aux objets plus élaborés au fur et à mesure de l’histoire, faites à la peinture, aux pastels ou avec des papiers découpés. Il s’agit de partir de la forme la plus simple, le point (graphiquement un rond), pour arriver progressivement à des représentations plus figuratives tout en restant minimales vers la fin du cycle. Une grande place est laissée au blanc du fond qui entoure et rythme les illustrations tout en développant un jeu de lumière très intéressant. Les formes et couleurs se complètent, évoluent et bougent et l’on peut penser par moment à l’album Petit-Bleu et Petit-Jaune de Leo Lionni aux éditions L’école des loisirs. À cela s’ajoute un jeu de calques permettant des superpositions de formes, des évolutions qui apparaissent sous nos yeux et un jeu avec les textes tantôt cachés, tantôt dévoilés par ce biais. Les différentes techniques utilisées permettent d’explorer autant la matière que la couleur, parties essentielles de ce monde en pleine évolution qui nous est montré. Par ce minimalisme où l’on oscille entre abstraction et figuratif au fil du cycle, tant de clarté que d’onirisme se dégage pour un effet saisissant sur les lecteurs.
Et j’ai rêvé le jour, Julie Safirstein, Albin Michel jeunesse, coll. Trapèze, 15 euros, à partir de 5 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 70 min).
Pour plus d’informations sur Julie Safirstein et sur les éditions Albin Michel jeunesse.