Rue du monde est une maison d’édition jeunesse fondée par Alain Serres il y a 25 ans et qui publie principalement des albums et des documentaires mais également quelques romans, en plus d’une grande part donnée à la poésie dans son catalogue par plusieurs collections dédiées. La maison a une ligne éditoriale très identifiée et portée par un fort engagement, social et écologique notamment, mais surtout autour des droits de l’enfant. Si la maison travaille avec beaucoup d’auteurs et illustrateurs français, ses achats de droits pour des traductions de livres étrangers sont souvent très intéressants.
Regina Giménez est une peintre espagnole reconnue internationalement pour sa peinture abstraite faite de formes géométriques et son travail sur la matière par différentes techniques. Passionnée par la géographie et l’astronomie, elle s’est associée ici à l’autrice Marta de la Serna, qui a déjà écrit des livres documentaires scientifiques pour enfants aussi intéressants que pédagogiques et fascinants par leur important contenu et la justesse de leur ton ne cherchant pas à tout simplifier pour la jeunesse sans pour autant être aride.

Le Grand Atlas géo-graphique est un atlas atypique en ce qu’il retranscrit diverses informations chiffrées sur l’Univers et la Terre, partant du plus lointain et grand au plus proche de nous et concret, non par des cartes mais par des formes et textures peintes donnant l’impression d’être face à de réels tableaux reproduits de Regina Giménez. Une quarantaine de double-pages saisissantes de beauté graphique abordent l’astronomie ou la géographie par des données statistiques sur les galaxies, planètes, tremblements de terre, fleuves, volcans, climats, notamment… En répondant à tant de questions essentielles ou existentielles que le lecteur, enfant ou adulte, peut se poser, ce livre s’avère une somme d’informations et de clés précieuses sur l’Univers et la Terre.
Les données statistiques prennent ici différentes formes de graphiques représentés à la peinture pour permettre des comparaisons visuelles et immédiates sur les distances, surfaces ou altitudes par exemple. Regina Giménez utilise des formes géométriques simples et des couleurs franches et tranchées par lesquelles l’abstraction devient symboles de statistiques par les nombreux graphiques, courbes ou cercles… L’usage de la peinture est volontairement très visible et apporte grain, relief et une vraie matière pour représenter ces chiffres statistiques. La peintre utilise une technique de peinture en aplats épais, délibérément écaillée et divers collages fondus dans cette matière donnant un effet saisissant et presque hypnotique. Cela apporte chaleur et densité à des données pouvant sembler abstraites en tant que chiffres ou même en tant que graphiques habituellement générés informatiquement. L’on retrouve alors la sensation de regarder des cartes anciennes fascinantes de détails par cet univers riche mais épuré.

Il y a là du jeu passionnant sur l’abstraction et la représentation où science et art s’entremêlent aussi judicieusement qu’harmonieusement. Se pose la question de la représentation de données chiffrées, de réalités concrètes et comparables que l’on visualise ici par des formes et couleurs (cercles concentriques ou pyramides des continents par nombre d’habitants ou superficie par exemple). En découle un grand ressenti à la lecture et une forme d’immédiateté du propos avec, notamment une plus grande accessibilité des données sur le climat grâce à leur forme de représentation. Ainsi, alors que la représentation en tant que telle peut sembler abstraite, comme l’est l’art de Regina Giménez, ou à tout le moins schématique, son apposition à des données statistiques rend le tout très concret, les chiffres comme leurs représentations picturales. L’art est ici le moyen de révéler et de rendre accessible la science et inversement, la science rend accessible ici l’abstraction de l’art de Regina Giménez.
Dans cette démarche, Regina Giménez se réfère à Bruno Munari, artiste et auteur de livres pour enfants italien, dans son acception du livre pour enfants par le jeu et l’absence de distinction dans ses pratiques artistiques par leur destination. Comme dans les Pré-livres ou le Mouvement pour l’art concret de Munari, l’on retrouve dans le travail de Regina Giménez une expérimentation sur les formes géométriques et leurs interactions, la volonté de supprimer le superflu et l’usage du jeu dans sa pratique artistique pour enfants.
Le Grand Atlas géo-graphique, Regina Giménez et Marta de la Serna, traduction de Laurana Serres-Giardi, éditions Rue du Monde, 24,50 euros, à partir de 10 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où la chronique a été diffusée (vers 77 min environ).
Pour plus d’informations sur les éditions Rue du Monde.