Tom Gauld est un auteur-illustrateur écossais bien connu pour ses strips paraissant régulièrement dans le Guardian et dont plusieurs recueils ont été édités en France aux éditions 2024, dont En Cuisine avec Kafka, pour lequel il a remporté un Eisner Award dans la catégorie humour. Son humour absurde et décalé confronté à une grande érudition en font des lectures détonantes.
Le Petit Robot de bois et la Princesse bûche est son premier album jeunesse reprenant la forme classique et connue de tous du conte en conservant une trame narrative construite autour d’une quête commencée par le fameux « Il était une fois », de nombreux rebondissements, des personnages royaux ou fantastiques… Dans un royaume heureux, les enfants du couple royal ont été créés par une inventrice pour le petit robot de bois et par une sorcière pour la princesse bûche, princesse se transformant en bûche de bois toutes les nuits dès qu’elle s’endort et jusqu’à ce que son frère vienne la réveiller par une formule magique chaque matin. Un jour, une servante la voit endormie, en état de bûche, et la jette par la fenêtre. S’en suit une grande épopée aux péripéties multiples du petit robot de bois pour la retrouver aux confins du royaume et jusqu’au Grand Nord et la ramener au château.

Cet album, sous forme de classique intemporel, reprend le principe de la quête propre aux contes en le dépouillant de ses aspects parfois trop traditionnels. Les héros de cette quête menée à deux, le prince et la princesse, sont clairement des enfants assez jeunes mais pris dans cette dynamique qu’ils alimentent tous les deux, cela évacuant de fait certaines problématiques courantes dans les contes classiques ayant fréquemment des personnages adultes ou à tout le moins adolescents. Il n’est alors pas question du mariage de la princesse ou de ses prétendants par exemple. Ainsi, tout en gardant cette évolution narrative propre aux contes, l’histoire reste à hauteur d’enfants au fil de cette folle aventure à partir de petites choses, d’un robot de bois sans grande technologie, de voyages en charrette ou de petits animaux de la forêt venant à la rescousse des héros. À noter les nombreuses références à la littérature jeunesse, que ce soit aux contes classiques bien sûr ou à des histoires connues de beaucoup, tels Pinocchio de Carlo Collodi ou Les Trois Brigands de Tomi Ungerer.
Comme bien souvent avec Tom Gauld, se dévoile au fil de l’histoire un humour plutôt absurde et toujours réjouissant et un grand sens de la construction narrative, l’un renforçant l’autre dans une sorte de jeu narratif très rythmé auquel des lecteurs de tous âges peuvent prendre grand plaisir. Par exemple, au cours de la quête, des ellipses indiquent schématiquement et de façon malicieuse les différentes épreuves auxquelles vont être confrontés les deux héros par, à chaque fois, une image représentant un personnage ou une situation se dressant sur leur chemin par groupe de six images par page montrant ainsi l’accumulation d’aventures que l’on se plaît à inventer dans un petit rappel aux Douze Travaux d’Hercule.

Dans ce livre, l’auteur propose également une réelle remise au goût du jour des valeurs et principes des contes tout en gardant leur force narrative de grande aventure à déclamer à voix haute. Ainsi, les grands sentiments sont bien exacerbés mais il s’agit ici principalement d’un amour fraternel mis en avant entre le prince et la princesse et du grand courage dont font preuve ces deux enfants. La princesse s’avère de plus bien active dans l’évolution de l’histoire, les deux héros étant au même plan, l’un prenant le relais de l’autre sans passivité ou attente d’être sauvé.
Des sujets de société très actuels se trouvent alors évoqués mine de rien au fil de l’aventure dans un esprit de diversité de représentation sans pour autant que cela soit le sujet de l’histoire. Le couple royal, mixte, ne peut avoir d’enfants et fait donc appel à une inventrice et une sorcière dans ce qui pourrait s’apparenter à une image de la PMA. En convoquant une inventrice et en ne laissant pas la princesse passivement endormie tout du long du récit, l’auteur montre également ce soucis de représentation de tous à divers niveaux. C’est par ce biais-là que l’inclusivité et la normalisation peuvent aussi prendre corps : il s’agit de représenter et de pouvoir voir dans un conte aux allures assez classiques des personnages différents, des situations différentes de l’habituel dans ce type de récits. Si le texte commence par le classique « Il était une fois », il se termine par « et chacun vécut heureux pour toujours et à jamais », reprenant la trame classique du conte et de sa fin heureuse sans la lier au mariage ou à la famille, le bonheur suffisant et pouvant être trouvé de différentes manières par tous sans avoir à l’expliciter.
Cette aventure réjouissante est portée par les illustrations fascinantes de Tom Gauld, entre le schématique et le détaillé, l’épure et le minutieux avec tant de détails et de références à débusquer au fil de la lecture. Le graphisme, avec un aspect aussi suranné qu’une grande modernité, peut rappeler les gravures classiques par les détails et les nuances faits de plus ou moins nombreux traits tout en gardant des contours nets aux formes simples et souvent géométriques et des couleurs en aplats dans des teintes assez naturelles du bois du robot et de la princesse bûche au rose de la pierre du château en passant par les différents verts de la forêt.
La mise en page et la construction graphique évoluent au fil de l’histoire entre des pleines pages et un découpage proche des premières bandes dessinées du début du XXe siècle avec le texte en cartouche donnant à retrouver l’humour et le sens de la narration séquencée par strip de l’auteur. Des doubles pages cartographiant le royaume parsèment le récit, entre paysages et motifs répétitifs fascinants ainsi que, par endroit, des sortes de frises reprenant des détails ou certaines scènes parallèles.
Le Petit Robot de bois et la Princesse bûche, Tom Gauld, éditions L’école des loisirs, 14 euros, à partir de 5 ans.
Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où la chronique a été diffusée (à partir de 52 min environ).
Pour plus d’informations sur Tom Gauld et les éditions L’école des loisirs.