Je découvre ici le travail d’Elena Del Vento par cet album, le premier où elle est à la fois autrice et illustratrice. Pourtant, cette illustratrice et graphiste italienne a déjà vu paraître plusieurs de ses titres en France aux éditions Circonflexe et notamment une édition du Triomphe du zéro de Gianni Rodari qu’elle a illustré, malheureusement épuisée aujourd’hui. Son projet est de partir de son expérience artistique pour arriver à la narration et à l’album en tant que tel.

Le titre de l’album, L’orage, est ici nécessaire comme guide de l’axe narratif voulu par l’autrice. Il s’agit ici de rendre son geste artistique, à première vue abstrait, bien plus concret en le comprenant immédiatement et sans ambiguïté avant même d’ouvrir l’album comme son interprétation de l’orage en imposant par là un biais de lecture et d’appréhension de ce livre pour les enfants et adultes lecteurs.

Dans cet album, il s’agit pour l’autrice de représenter un cycle d’un orage dans différentes composantes sensorielles, qu’elles soient visuelles, lumineuses ou surtout sonores, dans l’optique de solliciter tous les sens à la lecture. Cette boucle narrative entourée par la mention « Qu’est-ce que j’entends ? », suggérant le retour de l’orage à la fin du livre, propose une vision de la contemplation et de l’écoute de la nature par une perception sensorielle intuitive et primaire que l’on peut lier à une fascination fréquente pour l’orage. L’autrice tente ainsi d’interpréter un phénomène naturel très impressionnant et de retranscrire alors les sensations qu’il peut générer chez chacun d’entre nous. L’idée est d’entendre mais aussi de voir les sons grâce à leur représentation, de donner à voir l’invisible, de représenter graphiquement le tonnerre, son écho, les flashs de lumière, la pluie et le vent. Ce livre-expérience peut alors faire penser à des principes de synesthésie, association mentale de domaines sensoriels distincts, les sons pouvant avoir des couleurs et inversement pour certains. Ce parti-pris visuel et graphique s’avère d’autant plus fort et intéressant qu’il prend corps dans un projet de l’autrice mené avec des enfants sourds dans l’idée de traduire les sons visuellement.

Elena Del Vento propose dans cet album une représentation de l’orage sous forme de jeu graphique que l’on pourrait croire proche de l’abstraction à première vue par l’usage de formes simples et colorées réalisées notamment par des projections de peinture dans des pochoirs mais qui s’avère à la lecture bien plus concret et fort en ressenti qu’il n’y paraît. Si les illustrations géométriques peuvent sembler minimalistes, l’on se retrouve totalement immergé dans le ressenti cherché par l’autrice d’un violent orage d’été. L’on éprouve alors l’intensité du bruit qui se diffuse représenté par des cercles nets puis plus flous en halos comme des ondes qui se répondent, rebondissent en échos en parallèle de rayons qui enflent et disparaissent, de traits de foudre ou de pluie battante. Le mouvement ici suggère le son, et inversement, qu’il soit imperceptible ou tonitruant, bruissement ou grondement. Ici, l’expérimental testé par l’autrice devient expérience, le vacarme devient visuel, le mouvement assourdissant. La forme d’abstraction proposée s’avère alors très lisible mais aussi source d’ouverture guidée par l’idée même de l’orage laissant une grande place à l’implicite et à l’interprétation des différents lecteurs enfants et adultes.

Si l’image est ici narration en elle-même, elle se trouve renforcée par une forme de jeu typographique autour du texte de cet album. Ainsi, outre quelques mots-guides, le principal du texte est composé d’onomatopées ou bruitages passant de la pluie au tonnerre, dans un jeu sur la taille et la disposition de ces sons suggérant leurs variations tout au long de l’orage.

Cet accord texte-image peut s’entendre comme une partition de l’orage, devenant lui-même alors une sorte de symphonie naturelle que l’on peut tenter de reproduire ou du moins de s’en imprégner à la lecture. Un grand rythme est donné à la lecture par des variations d’intensité avec pour point d’orgue le cœur de l’orage. En cela, par ses jeux sur les sonorités et ses visuels s’assombrissant ou se colorant jusqu’à l’arc-en-ciel, ce livre est bien adapté à une lecture pour les tout petits découvrant peut-être pour la première fois de tels phénomènes naturels. Mais ce livre peut également être intéressant avec des enfants plus grands dans un aspect plus réflexif autour de la représentation.

Nécessairement ambitieux et à la hauteur de son impressionnant sujet qu’est l’orage, ce livre pourtant assez théorique s’avère finalement très accessible, ce qui en fait toute sa réussite.

L’orage, Elena Del Vento, éditions MeMo, 14 euros, à partir d’un ou deux ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où la chronique a été diffusée (à partir de 66 min d’émission).

Pour plus d’informations sur Elena Del Vento et les éditions MeMo.

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