J’étais d’emblée curieuse mais également un peu réticente à l’idée de découvrir ce roman dont le personnage principal est une enfant autiste. Si cette représentation dans un roman jeunesse est la bienvenue, étant personnellement intéressée par le sujet, je craignais la litanie de clichés habituellement apposée aux personnages autistes dans la littérature jeunesse dans nombre de parutions plus ou moins récentes. Non, tous les autistes ne sont pas nécessairement des cadors des mathématiques ; non, tous les autistes ne bégaient pas ; non, tous les autistes ne sont pas asociaux, etc… L’autisme est un état, et non une maladie, et les autistes ne peuvent être résumés à certaines particularités pouvant correspondre à certains d’entre eux.

Les Étincelles invisibles est le premier roman d’Elle McNicoll, autrice écossaise elle-même autiste et militante pour les droits, la reconnaissance et la visibilité des personnes neuroatypiques, roman pour lequel elle a obtenu plusieurs prix au Royaume-Uni et qui est maintenant largement traduit à travers le monde. Si cela rassure dès avant la lecture sur la représentation et le réalisme nécessaire du texte, l’on pouvait alors craindre a contrario qu’il s’agisse finalement plus d’un essai, voire d’un pamphlet, que d’un roman. Si les textes engagés sont bien nécessaires, la représentation passe aussi par des personnages romanesques de tout types.

Passées toutes ces appréhensions, j’ai lu ce roman, dès les premières pages, avec grand plaisir, un plaisir romanesque, un plaisir de saisir ses personnages, un grand plaisir de lecture. Ainsi, ce roman réussit à ne pas être un livre sur l’autisme mais bien un roman sur les convictions et la volonté d’une jeune fille qui se trouve être autiste et nous embarque avec elle dans son combat. L’on y suit Addie, en fin d’école primaire, qui apprend en cours d’histoire que des femmes considérées comme sorcières ont été persécutées il y a bien longtemps dans sa petit ville ; elle en est bouleversée et les imagine peut-être autistes comme elle, souvent incomprise et moquée, voire humiliée, par ses camarades et même son institutrice. Elle mène alors une campagne auprès du conseil municipal pour que l’on érige un monument dans sa ville en mémoire de ces femmes.

Le parallèle dans des époques différentes fait ici par l’autrice entre l’autisme et la sorcellerie, ou plutôt entre la vision sociale de l’autisme et l’accusation de sorcellerie est ici très intéressant et permet par ce prisme de mieux percevoir les ressentis d’Addie, ressentis qu’elle a du mal à exprimer, ainsi que ce qu’elle perçoit de la vision que l’on a d’elle en tant que personne autiste et plus largement de la vision que la société peut avoir des personnes neuroatypiques, considérées comme telles aujourd’hui ou peut-être comme sorcières dans un autre temps. Ce parallèle entre deux époques montre alors les similarités entre les deux cas de façon plus flagrante, nous amenant à nous questionner sur l’image et le traitement que nous réservons aux personnes autistes actuellement, dont certaines, comme cela est le cas d’une amie de la sœur d’Addie dans le roman, se trouvent hospitalisées et abruties de médicaments contre leur gré. Addie aurait-elle été considérée comme une sorcière si elle avait vécu quelques siècles auparavant ? Si la persécution passée de femmes considérées comme sorcières peut nous sembler aujourd’hui absurde, devons-nous alors reconsidérer notre perception actuelle et notre façon d’intégrer à la société les personnes neuroatypiques ? Et plus largement, il est ici question d’altérité, de différence et de leur réception dans notre société.

Si ce roman s’avère particulièrement prenant du fait de l’engagement d’Addie et de son opiniâtreté à obtenir ce qu’elle estime juste, il est tout aussi intéressant de la découvrir alors dans sa vie quotidienne entre l’école, sa famille et une nouvelle amie dont les questions se révèlent un bon dispositif pour mieux la découvrir, elle qui se livre peu, entre ses passions obsédantes pour les sorcières et les requins semblant décalées pour les autres, ou l’adaptation dont elle doit faire preuve en permanence pour pouvoir vivre en société selon les règles des personnes neurotypiques. L’on voit tant son hypersensibilité aux surstimulations sonores ou lumineuses notamment, sa difficulté à décrypter les émotions d’autrui que son grand courage et sa force de caractère pour faire face à cela. Si, par ce biais, l’on peut en apprendre beaucoup sur l’autisme et surtout sur le quotidien des autistes, le ton de l’autrice s’avère très juste et bien dosé, sans apitoiement aucun, ce qui rend le ressenti à la lecture d’autant plus fort.

Au-delà de ce propos sur l’autisme, ce roman peut être vu comme un récit d’initiation sur le passage de l’enfance à l’adolescence, Addie étant avant tout une jeune fille que l’on nous montre ici alors qu’elle prend conscience d’elle-même et du monde, qu’elle commence à affirmer des convictions politiques, sociales, voire féministes avec beaucoup de détermination. En cela, son autisme est utilisé contre elle au conseil municipal pour nier ses arguments, prendre son engagement pour une lubie et ne pas la prendre elle au sérieux. Son combat est important tant pour réhabiliter et honorer la mémoire des femmes accusées de sorcellerie par le passé que pour faire évoluer la vision des autres sur elle-même et sur les personnes neuroatypiques.

Les Étincelles invisibles, Elle McNicoll, traduit de l’anglais par Dominique Kugler, éditions L’école des loisirs, à partir de 10 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où la chronique a été diffusée (à partir de 72 min environ).

Pour plus d’informations sur Elle McNicoll et sur les éditions L’école des loisirs.

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