Saehan Parc est une autrice-illustratrice coréenne installée à Strasbourg depuis qu’elle a étudié dans la section Illustration des Arts Déco de cette ville il y a quelques années. Elle a depuis co-fondé la revue d’illustration Mökki, créé de nombreux fanzines et réalisé des illustrations dans la presse internationale, dont au New York Times.

Dans Papa Ballon, son premier livre publié, l’on se retrouve un jour où, sans raison apparente, tous les adultes sont transformés en ballons de baudruche. La petite Hana et ses amis doivent ainsi surveiller leurs parents de crainte qu’ils ne s’envolent et les assister dans tout leur quotidien, les emmener au travail, tenir leurs boutiques, les mettre au lit… Les adultes peuvent bien exprimer leurs désaccords, ils restent impuissants à agir ou à empêcher telle ou telle action de leurs enfants d’un coup libérés en apparence de toute contrainte. Les enfants mènent alors leur vie telle qu’ils la souhaitent avec bien plus de glace et de chantilly ou de dessins sur les murs qu’auparavant. S’ils s’occupent de certaines tâches des adultes, c’est à leur façon : ainsi, personne ne sachant ici réellement compter, la distribution des pains et le rendu de la monnaie à la boulangerie se fait de façon hasardeuse et plutôt généreuse. 

On est ici dans une fable où les enfants prennent la place des parents dans une réjouissante inversion des rôles où les petits lecteurs peuvent prendre grand plaisir à s’imagier à la place des adultes. Ce principe narratif classique de l’inversion des rôles des personnages avec tant de livres ou films où un adulte se retrouve dans la peau d’un enfant ou inversement, se trouve ici élargi à toute une société, d’où une transformation soudaine de toutes les règles de vie et la mise en lumière de certains secrets savoureux tus en situation normale, dont la vacuité de certains emplois des adultes… 

En devenant ballon, l’adulte devient un jouet dans les mains de l’enfant. Mais les conséquences de ce nouvel état des choses s’avèrent ici assez légères mine de rien, les principes sociaux habituels n’étant visiblement pas totalement remis en question par les enfants et leur liberté nouvelle. Ainsi, si la liberté et l’amusement priment pour les enfants dans ce nouvel ordonnancement du monde, ils restent toutefois bien conscients de leurs responsabilités nouvelles liés à l’inversion totale des rôles avec leurs parents. L’on peut alors se rendre compte en filigrane du rôle habituel et pas si facile de parent et de la peur qui s’installe lorsque la tempête se profile et que le papa d’Hana disparaît, sûrement emporté par le vent…

Peut se poser ici la question de l’utopie, de la société idéale vue de façon relative par chacun libéré de ses contraintes, de l’utilité des règles de vie en commun dans notre société. L’autrice n’apporte pas de réponse tranchée et préconçue à ces questions dont le simple fait d’être posées peut être intéressant et propice à la réflexion.

Il y a de l’humour absurde dans la narration de Saehan Parc rien que dans ce point de départ aussi déroutant qu’amusant de la transformation de tous les adultes en ballons de baudruche. Poursuivant dans cette logique absurde détournée, cette situation n’a aucune explication mais l’on se retrouve plutôt entraînés dans une suite de conséquences en chaîne dans cette logique alternative et bien construite malgré tout.

Pour mettre en images cette histoire incongrue, les illustrations de Saehan Parc s’avèrent saisissantes et étonnantes, ne ressemblant à aucunes autres dans une sorte de figuratif virant à l’abstraction, ou l’inverse, selon le regard que l’on porte sur ces images. Les contours fins sont faits de formes géométriques très simples (presque uniquement des ovales, rectangles ou traits) au rotring donnant une apparence stylisée au trait par une réduction ou simplification rendant les scènes et détails d’autant plus drôles et percutants. Les couleurs sont apportées aux feutres à alcool donnant des teintes souvent dans des tons pastels et un effet délavé et flou, renforcé par l’absence de contours des détails tranchant avec la netteté et la précision des formes de contours. Ainsi, les ovales deviennent, par le jeu des couleurs et de leurs agencements, tantôt des ballons, des visages, des mains, des pains, des tomates ou bien même des boules de glaces.

Au-delà de cette simplicité apparente, se révèle un grand travail de détails et de mise en page avec notamment un jeu autour des cadres des pages, sortes d’enluminures décalées faites d’éléments ou couleurs de la scène en question. 

À noter la typographie du texte rappelant une écriture à la main d’écolier appliqué et renforçant le parti pris narratif de mettre les enfants au centre de cette histoire et de ce monde, ainsi que la belle fabrication du livre d’un petit format carré à la typographie de couverture non alignée accentuant l’attrait direct à l’oeil annonçant un livre amusant par l’image d’Hana dévorant deux énormes glaces, son Papa Ballon accroché à son poignet.

Papa Ballon, Saehan Parc, éditions 2024, collection 4048, 16 euros, à partir de 4 ans.

Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.

Pour plus d’informations sur Saehan Parc et sur les éditions 2024.

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