J’ai découvert le travail de Jeanne Macaigne il y a quelques années avec la publication de plusieurs albums aux éditions Memo, dont le très beau Les Coiffeurs des étoiles, ainsi qu’avec certaines de ses illustrations dans la presse. Son style attire l’oeil et est d’emblée reconnaissable dans son esprit psychédélique et ses couleurs très travaillées.

Dans Changer d’air, le personnage principal de l’histoire est une maison, elle-même habitée par une famille, tous vivants en bonne entente jusqu’au jour où tout se délite entre les habitants qui passent de colères en disputes, détruisant peu à peu la maison. Celle-ci décide alors de partir, voyager et tout recommencer dans un nouvel environnement paradisiaque, espérant que ce changement et cette nouvelle vie offerte ramèneront l’harmonie au sein du foyer.

J’ai déjà parlé ici de mon goût pour le traitement de l’architecture dans les livres pour enfants ; ici, l’on est au-delà, la maison est vue d’un autre biais, personnage à part entière de l’histoire. Que sont intéressantes les histoires où des objets, choses inanimées prennent vie dans une forme d’anthropomorphisme ! Cela permet un pas de côté de la réalité, de suggérer sans pointer lourdement. Il en va ici de l’importance de la maison pour tous, et particulièrement pour les enfants, pouvant être vue comme un cocon, une source de réconfort. Ces sentiments sont ici mis en images en sens inverse par cette maison particulièrement enveloppante et aimante avec ses habitants et qui cherchera alors un moyen de les faire revenir à eux, d’arrêter les disputes qui la détruisent de l’intérieur, qui la minent afin de les sauver eux autant qu’elle-même.

Il est alors ici question de l’âme de la maison : en la personnifiant, c’est ses sentiments et émotions, que l’on ne peut décrire, qui apparaissent alors dans l’histoire et les illustrations. Ce truchement permet alors à l’autrice d’évoquer et de dessiner l’imperceptible avec beaucoup de finesse. L’on peut alors penser au proverbe anglais dont la traduction serait quelque chose comme : « La maison est là où le coeur est. »

On peut alors aussi voir dans ce livre une fable écologique finement tressée autour de la synecdoque formée par le personnage même de la maison pouvant représenter la planète comme habitat commun et unique à préserver, à protéger comme elle nous protège. Parler alors de la maison et de ses habitants rend cela étonnamment plus concret alors que l’histoire est bien dans un monde imaginaire. Il y a là une sorte de premier degré décalé particulièrement fin et intéressant et non moralisateur.

Il y a dans le propos de Jeanne Macaigne tant de poésie que d’humour et de bienveillance dans ces questionnements sous-jacents sur le rapport des humains entre eux et avec le monde, le besoin d’harmonie. Son écriture est très poétique avec de courts textes imagés aux rimes irrégulières comme de sortes de haïkus permettant un décalage de l’oeil sur le monde. Est ainsi développé un aspect étrange, presque surréaliste du monde créé dans cette histoire. Ces textes brefs quoique très riches et évocateurs laissent une grande place dans la narration elle-même à l’illustration.

Ainsi, les illustrations foisonnantes et particulièrement intéressantes de Jeanne Macaigne apportent beaucoup au déroulé du récit, complétant à merveille le texte parfois elliptique par une myriade de détails drôles ou poétiques, selon. Le trait est immédiatement reconnaissable dans une esthétique psychédélique évoquant les années 1970. L’on peut également voir les influences du surréalisme, de Léopold Chauveau ou de Nicole Claveloux dans ce mélange de réalité et d’étrange totalement fascinant. Les détails de la personnification de la maison par anthropomorphisme sont savoureux, parfois drôles ou plus inquiétants, des yeux-fenêtres assez évidents au nez, cheveux ou même bras qui laissent pourtant bien voir la maison dont on aperçoit des briques, la porte, la cheminée ou même les fissures qui apparaissent ou disparaissent au fil de l’histoire.

Le trait à l’encre est fin et les couleurs très travaillées, non réalistes, permettant d’évoquer au-delà de la réalité que l’on peut voir à travers des palettes de couleurs évoluant au fil de l’histoire, plus ou moins chaudes ou froides. Le découpage graphique de l’histoire est particulièrement bien conçu et évolue au fil du récit entre des doubles pages d’illustration très fouillée et des sortes de cases se rapprochant plus de la bande dessinée et montrant certaines évolutions, certains mouvements.

Changer d’air, Jeanne Macaigne, éditions Les Fourmis rouges, 18 euros, à partir de 5 ans.

Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.

Pour plus d’informations sur Jeanne Macaigne et sur les éditions Les Fourmis rouges.

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