Ce roman fait partie de la nouvelle collection Le Grand Bain, lancée à la rentrée dernière aux éditions du Seuil jeunesse et proposant des romans illustrés pour les lecteurs à partir de 8 ans sous forme de beaux livres à la maquette réfléchie et qui attire l’oeil, réflexion intéressante pour amener à la lecture et passer en douceur des albums illustrés aux romans, l’un n’excluant bien sûr pas l’autre. Ainsi, les choix des auteurs et particulièrement des illustrateurs sont très pertinents et parfois audacieux dans ce secteur du roman en mettant en avant de vrais choix graphiques contemporains. La maquette et la présentation s’avèrent également très bien pensées et intéressantes avec une vraie harmonie entre textes et illustrations tous deux forts et des détails ayant leur importance comme de belles jaquettes américaines se dépliant en posters que l’on voudrait tous chez soi.
Avec ce livre, j’ai d’ailleurs moi-même été attirée d’emblée par l’illustratrice, Emilie Gleason, dont j’aime beaucoup le travail immédiatement reconnaissable. Cette formidable autrice et illustratrice a notamment fait la bande dessinée Ted, drôle de coco parue aux éditions Atrabile, un livre saisissant de finesse et d’humour sur un jeune garçon autiste pris dans une suite de conséquences en chaîne après un retard de son métro. Elle a également publié plusieurs albums jeunesse aux éditions Biscoto ou aux Fourmis rouges et tout récemment Jean-Sherk a peur des maisons, une bande dessinée jeunesse tout petit format à l’humour absurde et réjouissant dans la nouvelle collection Coco Comics des éditions L’articho.
Hervé Giraud est quand à lui auteur de nombreux romans jeunesse aux éditions Thierry Magnier principalement, dont L’histoire du garçon qui courait après son chien, d’une plume fluide empreinte d’humour et d’un sens certain du décalage.

Dans Le garçon qui croyait qu’on ne l’aimait plus, on suit Charly, maintenant en CM2, qui se replonge dans son entrée compliquée au CP : maladroit et prenant tout au pied de la lettre, il va d’impair en impair, chaque jour un peu plus exclu par les autres et lui-même, regrettant alors la joyeuse maternelle jusqu’à développer une forme de phobie scolaire. Cette spirale infernale finira par se retourner en sens inverse jusqu’à une pirouette finale réjouissante autour de son passage prochain au collège qui s’annonce alors plus simple, car avec un bon copain, quoique pas forcément moins maladroit, mais d’une maladresse qu’il a depuis apprivoisée.
Ce texte s’avère particulièrement fin, drôle, malin, tendre et très bien vu dans cette expression d’un certain mal-être enfantin de ce petit garçon un peu à côté de la plaque, qui ne comprend pas trop tout ce qui lui arrive ni ce qu’on lui reproche dans ce choc du passage à l’école primaire faisant naître un sentiment de décalage avec les autres enfants pour qui ce changement semble aller de soi. Il se retrouve alors projeté dans l’univers parfois cruel de l’école et de sa cour de récréation où il ne peut se dépatouiller d’une bêtise non-intentionnelle devenant le début d’une spirale d’échecs dont il prend la mesure des conséquences sans en comprendre les causes.
Qu’il est alors intéressant de traiter de la différence autour d’un personnage très attachant et finalement pas si différent, plutôt rêveur, dans son monde ou en tout cas dans le monde vu de son prisme particulier, simplement pas vraiment dans le moule attendu socialement d’un enfant de son âge. Ses rêves d’enfance sont alors confrontés à la violence du collectif pour cet enfant ne ressemblant pas tant aux autres, au choc de s’adapter à un monde dont il ne comprend pas les codes, où on lui intime d’entrer dans ce rang nouveau et implicite dont il ne comprend pas les règles tacites. Dans cette spirale où il ne comprend pas ce qu’il ne comprend pas, il en arrive à ne plus s’aimer et à penser en conséquence que l’on ne l’aime plus.

Ce texte, particulièrement subtil tout en étant par moment très drôle dans un humour de situation très bien amené, déjoue les pièges de l’exercice de l’écriture à la première personne autour d’un personnage d’enfant. J’ai ainsi souvent une certaine gêne à la lecture de romans jeunesse à la première personne où le ressenti propre au « je » tombe à plat car l’on peut trop sentir le côté adulte de l’auteur se mettant à la place d’un enfant de façon très artificielle. Nous avons pourtant tous été enfants, mais certains, comme Hervé Giraud, semblent s’en souvenir mieux que d’autres ou du moins en garder une forme de sensibilité bien particulière. Ce procédé d’écriture fonctionne alors ici parfaitement et l’on s’attache d’autant plus à Charly, l’auteur se mettant à hauteur d’enfant sans que cela n’en devienne parodique.
Les illustrations d’Emilie Gleason qui rythment le récit s’avèrent formidables de liberté et d’humour. Ces illustrations fantaisistes dans leur représentation très libre de la réalité ajoutent à l’humour de certaines situations en scandant particulièrement bien le récit. Le trait est délié, donnant l’impression du mouvement, exagérant les expressions des visages, cela étant renforcé par l’usage de couleurs vives principalement en aplats.
L’accord entre auteur et illustratrice s’avère ici particulièrement intéressant, l’un répondant à l’autre avec la même sensibilité, la même subtilité et finesse sous des ressorts comiques. S’ils ont tous deux gardé cette forme d’expression propre à l’enfance, une sorte de douceur nostalgique s’empare alors de nous avec bonheur à la lecture de ce très bon roman.
Le Garçon qui croyait qu’on ne l’aimait plus, Hervé Giraud, illustré par Emilie Gleason, éditions du Seuil Jeunesse, collection Le Grand Bain, 9,50 euros, à partir de 8 ans.
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Pour plus d’informations sur Emilie Gleason et sur les éditions du Seuil jeunesse.