Je suis avec attention les parutions des éditions du Seuil jeunesse pour leur éclectisme et la singularité, sur le fond, la forme ou l’illustration de certains de leurs titres qui sortent totalement de l’image installée de la maison et surprennent et intriguent d’autant plus.
Je suis également beaucoup le travail de Dorothée de Monfreid, autrice et illustratrice de nombreux albums pour enfants et notamment de la très drôle série des Toutous à l’Ecole des loisirs, mais également de bandes dessinées à plus large public, comme Ada et Rosie aux éditions Casterman ou de dessins d’humour notamment dans Mon Lapin Quotidien, journal des éditions L’association. L’humour de Dorothée de Monfreid se ressent alors tant dans ses textes courts et ciselés que dans ses illustrations et son trait expressif, croquant à merveille la vie quotidienne. L’on peut voir dans nombre de ses livres certains mélanges des genres, entre album et bande dessinée le plus souvent, menant jusqu’ici à un entremêlement de roman et de bande dessinée particulièrement réussi.
Dans Mari Moto, roman avec de la bande dessinée dedans (ou l’inverse), on suit Mari, petite fille en vacances à la campagne chez sa grand-mère où ses parents lui refusent le moindre risque alors qu’elle ne rêve que de grandes aventures. Un jour, un ouragan ravage la maison et ses environs ; Mari se retrouve alors à devoir enfourcher la moto de sa grand-mère pour prévenir les secours. S’ensuit un périple à travers la campagne dévastée où elle va, sur sa route, rencontrer et aider différents personnages touchés eux aussi par l’ouragan, reportant d’autant son appel aux secours…

On se retrouve ici entre le roman d’aventure, le journal de bord, le suspens et l’humour pour le plus grand plaisir des lecteurs suivant Mari dans son road trip effréné et plein de rebondissements. On est entraînés dans le sillage de la moto, l’imaginant à folle allure même si cela peut s’avérer tout relatif au ressenti de la petite fille au volant de ce bolide ; on est avec Mari, on voudrait l’aider, la soutenir, l’encourager dans ce qui s’avère être un exploit pour sauver toute sa famille. Le coeur palpite, on sentirait presque le vent nous fouetter le visage au volant de cette moto tant le récit est prenant, à lire d’une traite si on le peut.
À rebours, l’on comprend également le côté carnet de bord, reportage de la fillette sur sa folle aventure, cela prenant tout son sens dans la forme très intéressante développée par Dorothée de Monfreid dans ce livre alternant paragraphes de textes, saynètes en format bande dessinée ou illustrations de pleine page, cela donnant un rythme particulier et évoluant au fil du récit par certaines pauses ou au contraire certaines envolées de Mari au volant de sa moto. Ce format, qui fonctionne ici particulièrement bien pour tous lecteurs, peut alors également attirer de jeunes lecteurs pour leur permettre d’entrer plus aisément dans la lecture, sans crainte de se voir dépassés par un texte trop dense.
Ainsi, avec ce livre, sous-titré Seule contre l’ouragan, tant par ce personnage, que j’espère récurrent, que par ce récit d’aventure palpitant et cette forme inventive, je vois une sorte de renouveau du livre familial, s’adressant à tous, de 7 à 77 ans comme on a pu le dire. C’est que si la lecture en est réjouissante enfant, elle ne l’est pas moins plus grand ou adulte, par certains traits d’humour et des personnages parfaitement croqués. L’héroïne est ici bien fédératrice par son courage et les frissons qui nous prennent en songeant à sa folle mission, oscillant entre dramatique et drolatique. Il y a là une forme de premier degré qui fait du bien dans cet aspect positif mêlé à certains passages très drôles et fantaisistes, parfois presque burlesques, histoire que ce premier degré ne se prenne tout de même pas trop au sérieux… On n’a alors qu’une envie, soutenir Mari et savoir s’il elle arrivera à mener sa mission à bien !

À noter également qu’il est particulièrement réjouissant de voir ici une héroïne féminine comme on voudrait en voir plus : une petite fille réelle, aussi courageuse qu’assaillie parfois de doutes, donnant alors confiance et enthousiasme, modèle sans en être un. Ainsi, le surnom iconique de Mari Moto la transforme en super-héroïne sans autres pouvoirs que son ingéniosité et son courage sur cette moto rouge bien trop grande pour elle, qu’elle chevauche comme la moto d’Akira, le manga de Katsuhiro Otomo.
Dans la forme entre roman et bande dessinée initiée ici par l’autrice, ses illustrations s’intègrent particulièrement bien par une sorte de ligne claire aux contours simples donnant bien à voir le mouvement et l’énergie propre au périple de Mari. À cela s’ajoute un travail très intéressant sur les couleurs avec des aplats choisis de jaune, rose, rouge ou bleu pour mettre en avant tel fonds, tels détails de l’intrigue ou relier différents éléments d’une image, le reste demeurant alors en noir et blanc. À noter de plus la couverture parfaite, de la typographie du titre à l’illustration de Mari sur sa moto sous une pluie battante, le tout pouvant rappeler des affiches de films de série B et donner alors d’autant plus envie de suivre la folle course de Mari.
Mari Moto, Dorothée de Monfreid, éditions du Seuil jeunesse, 11 euros, à partir de 8 ans.
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