J’ai déjà parlé ici des éditions MeMo pour leur remarquable travail d’édition patrimoniale mais je tenais également à mettre en avant leur travail, non moins intéressant, sur des albums de création avec des auteurs et illustrateurs contemporains édités avec grand soin par la maison.
Ainsi, Gaya Wisniewski est une autrice et illustratrice dont j’ai découvert le travail il y a quelques années avec la parution de Mon Bison, aux éditions Memo déjà, un premier album saisissant sur la rencontre entre une petite fille et un bison et leurs retrouvailles à chaque hiver portées par de magnifiques illustrations principalement au fusain et plutôt inhabituelles dans des livres pour enfants. Depuis, son travail très intéressant explore d’autres techniques d’illustration comme l’aquarelle au travers d’albums dont elle écrit également les textes ou d’illustrations de textes d’autres auteurs.
Dans Ours à New-York, on suit Aleksander, jeune homme enfermé dans sa vie monotone par un travail semblant important mais lui imposant une forme de routine. Un jour, le gros ours qu’il dessinait enfant lui apparaît, énorme dans les rues de New-York pourtant bien grandes, pour le faire petit à petit renouer avec ses rêves d’enfant et se questionner sur sa vie et le sens de celle-ci.

Il y a tant de douceur que de mélancolie dans cette histoire aussi simple que bouleversante par un grand sentiment de nostalgie pouvant s’emparer du lecteur en parallèle d’Aleksander qui revoit ses dessins, son imagination et ses rêves d’enfants mais aussi son vieux doudou, comme autant de réminiscences d’un âge doux et insouciant où tout pouvait sembler possible. L’enfance est alors fantasmée, en parallèle à la morosité, la grisaille du quotidien des adultes fait de renoncements, une forme de désenchantement se dégageant de l’enfant devenu alors quelqu’un de sérieux. Faut-il alors, à défaut de retomber en enfance, retrouver ses rêves et son insouciance de l’époque ?
Ainsi, s’il y a permanence de l’attachement d’Aleksander pour son dessin d’enfant, cela revient-il à une permanence de l’être d’Aleksander ? Est-il toujours la même personne malgré les années passées, les renoncements et habitudes prises ? L’ours se présente ici à lui comme une sorte de personnification de sa conscience, le renvoyant à de bien profonds questionnements, l’attachement à ses rêves d’enfant étant vue en parallèle à son évolution en tant qu’adulte.
En cela, cet album s’adresse tant à l’enfant et ses rêves à ne pas trop vite oublier qu’à l’adulte et ses rêves d’enfant passés, actuels ou renouvelés, le temps passant. J’aime tout particulièrement ce type de narration s’adressant à tous, chacun pouvant y trouver son compte, quelque soit son âge, son vécu, ses expériences, les lectures, toutes différentes, dépendant alors totalement du lecteur. Cela s’avère d’actualité en ces temps bien étranges que nous vivons pouvant chez certains mener à une forme d’introspection sur notre place dans la société, dans la vie, menant parfois à des envies de changements pour renouer avec des rêves d’enfant ou en suivre de nouveaux. Le message du texte de Gaya Wisniewski est alors simple mais absolument pas simpliste, simple de ce qui en fait son universalité, sa force et sa douceur. En tout cela, ce livre s’avère particulièrement émouvant et beau.

À noter, tant dans le texte que graphiquement, un rapport à la ville très intéressant et nouveau chez l’autrice, elle qui nous avait plus habitués jusque là à des décors plus naturels, de campagne, voire de forêts. La ville ici est très détaillée mais presque surannée dans l’ambiance et les détails développés, non situés dans le temps. Le paysage urbain s’avère tout aussi fascinant qu’engloutissant pour le personnage dans son immensité et dans la routine induite qui l’enferme. Aleksander devient alors presque transparent dans ce décor pourtant très fouillé, il en devient un infime rouage de la ville tentaculaire. C’est alors que l’ours sort de son contexte naturel pour venir à la ville et bousculer le quotidien du jeune homme qui seul le voit. On pense alors à une sorte de King-Kong bien trop imposant et maladroit pour la fragile ville, quoique bien plus doux et rassurant que le gorille en question.
Les illustrations de Gaya Wisniewski sont très belles et impressionnantes et très bien mises en valeur dans le grand format de l’album. Le choix du noir et blanc, très rare dans les albums jeunesse, est très réussi pour rendre la beauté et l’intensité de la ville et donner à voir une forme de lumière et ses reflets dans les gratte-ciel. Seul le titre en couverture ressort alors dans un beau ton de rouge. Les illustrations sont faites aux feutres de différentes tailles comme une multitude de petits ou grands ou gros traits donnant naissance à une ville infinie dans son trait dense et fouillé, ses noirs intenses et gris plus flous. Le décor prend alors une grande place face à un Aleksander effacé et l’apparition petit à petit de l’ours gigantesque mais qui n’en semble que plus doux.
Ours à New-York, Gaya Wisniewski, éditions MeMo, 18 euros, à partir de 4 ans.
Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.
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