Marika Maijala, autrice-illustratrice et graphiste finlandaise, a déjà vu paraître en France plusieurs albums qu’elle a illustrés, notamment aux éditions Cambourakis, mais je ne l’ai alors pas immédiatement reconnue en voyant ce nouvel album, assez différent des précédents dans son style graphique. Rosie court toujours est son premier livre en tant qu’autrice et non seulement illustratrice de textes d’autres auteurs et a déjà été traduit dans plusieurs pays et été reconnu par une exposition à la foire internationale du livre jeunesse de Bologne.
Dans cet album, on suit Rosie, lévrier de course à la vie bien réglée avec les compétitions et le stade pour seul horizon hors de sa cage qui, un jour, décide de ne pas s’arrêter de courir à la fin d’une course, de s’enfuir et de parcourir forêts, villes et tant d’autres paysages dans sa soif de liberté jusqu’à découvrir un parc où elle se sent enfin bien, en compagnie d’autres chiens qu’elle rencontre alors.

Au-delà de cette course folle, effrénée et saisissante, il est ici question de liberté, de choix, de bonheur, d’une place à trouver… Ce livre en devient alors particulièrement touchant par tous ces sujets effleurés et révélés par la course ou la fuite en avant de Rosie, échappée de sa condition aliénante de chien de course. Ces questionnements peuvent alors raisonner en chacun de nous dans cette période bien étrange que nous vivons.
On peut y voir une réflexion, ou du moins son ébauche par le questionnement, presque philosophique autour de l’être en soi, de ce qui nous définit, de notre place dans la société à travers Rosie. C’est que, tout chien de course qu’elle soit, on s’y identifie facilement dans son irrépressible envie de liberté et d’échappatoire d’un morne quotidien.
Il y a du paradoxe dans la condition de chien de race de Rosie qui semble triste, sans liberté mais est élégante et admirée. Ce paradoxe est renforcé par la découverte de paysages fous et tous très différents en parallèle de la liberté après l’enfermement et la seule réalité des champs de course. Ainsi, Rose court toujours, d’abord par obligation, dans le stade, puis pour s’en échapper, s’émanciper de cette obligation et s’en éloigner puis même pour jouer avec des chiens amis tout juste rencontrés. La course prend alors différentes formes, de l’obligation routinière au moyen de libération et à la course choisie, libérée des carcans représentés ici par le dossard dont elle est affublée.

L’évolution de cette course, de sa manière et de ses causes s’accompagne graphiquement par l’évolution des fonds devant lesquels Rosie court : du stade aux spectateurs impersonnels et schématisés aux grandes scènes panoramiques de paysages successifs où l’on voit toute la vitesse de la chienne jusqu’à des scènes plus ralenties, intimes alors que Rosie rencontre et se lie avec d’autres chiens.
Le travail graphique de Marika Maijala est ici très intéressant et renforce grandement le propos sous-jacent de l’histoire : l’on ressent une grande liberté à travers son usage du pastel gras assez brut, voir naïf mais finalement assez détaillé dans certains décors. Le mouvement, nécessaire pour suivre la course effrénée de Rosie au fil des pages, est particulièrement bien rendu par les traits apparents du pastel. Le trait est simple, sobre, sans contours : le lévrier blanc nous apparaît par le tracé du fond. Les détails des fonds peuvent être très stylisés dans les scènes de stade avec les gradins de spectateurs ou plus fouillés dans des paysages de nature ou de ville magnifiques renforcés par des couleurs saisissantes dans des dominantes de verts. Tout cela est bien mis en valeur par le grand format donné à l’album permettant de se plonger dans certaines très belles doubles pages.
Aux questionnements autour de Rosie pouvant faire écho aux nôtres, ou aux miennes à tout le moins, on peut alors y voir également un parallèle avec la liberté trouvée ici par l’autrice-illustratrice, son trait s’étant peut-être libéré de certains artifices en parallèle de son nouveau travail d’autrice auquel cette histoire peut faire référence. Ses précédents albums étaient déjà très intéressants dans l’illustration mais moins bruts et plus léchés, moins personnels et alors moins touchants… Par cet album, il semble que Marika Maijala se soit libérée de certaines de ses obligations, réelles ou supposées, d’illustratrice, qu’elle ait trouvé un mode d’expression graphique saisissant qui, moi, me ravit totalement.
Rosie court toujours, Marika Maijala, traduit du finnois par Lauriane Renquet, éditions Hélium, 16,90 euros, à partir de 4 ans.
Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.
Pour plus d’informations sur Marika Maijala et sur les éditions Hélium.