Vous l’avez peut-être remarqué si vous écoutez régulièrement ces chroniques, j’ai un goût tout particulier pour le patrimonial, pour les rééditions d’anciens livres pour enfants que je connaissais déjà ou non et qui me fascinent tant pour l’intérêt historique de telles rééditions que pour la mise en valeur de fonds importants et du travail de nombreux auteurs et illustrateurs parfois oubliés le temps passant. En cela, les éditions MeMo font un travail remarquable de rééditions de nombreux auteurs fascinants au fil de leurs découvertes et éditent également de fantastiques monographies de certains de ces auteurs.

Sesyle Joslin est une autrice américaine de livres pour enfants particulièrement prolifique dans les années 50 et 60. Elle a écrit de nombreux livres illustrés par divers illustrateurs mais n’a été que peu traduite en français. Elle est principalement connue en France pour les albums Qu’est-ce qu’on fait ? et Qu’est-ce qu’on dit ?, illustrés par Maurice Sendak et réédités il y a quelques années par les éditions MeMo déjà.

John Alcorn est pour sa part un artiste aux multiples disciplines, représentant marquant du style pop des années 60 et 70 par son travail de graphiste, designer et illustrateur. Il a à cette époque réalisé les affiches et lettrages de plusieurs films de Federico Fellini ainsi que de nombreuses publicités dans cette esthétique pop immédiatement reconnaissable. Il a illustré plusieurs livres pour enfants, peu ayant été édités en France, notamment Books ! écrit par Murray McCain et dont l’éditions française est malheureusement épuisée aujourd’hui.

Bien qu’américain, le livre La Petite Famille n’a pas été traduit dans cette édition d’aujourd’hui qui reprend celle d’origine, cela s’expliquant par le principe même donné initialement à ce livre et qui n’apparaît pas nécessairement de prime abord. À l’époque, dans les années 60, le livre a été conçu comme une méthode pour commencer à apprendre le français aux enfants américains, le texte était donc initialement en français. Cette visée d’apprentissage d’une langue peut être gardée en mémoire en découvrant le livre qui ne ressemble en aucune façon à une méthode de langue pouvant être rébarbative, cela rendant le décalage et l’humour développés plus forts encore.

La Petite Famille forme un recueil de quatre histoires, La Petite Famille, Le Banquet, Le Clown et La Belle Dame, reprenant à chaque fois le même principe narratif fait de répétition, accumulation jusqu’à la chute absurde. Ces phrases à rallonges multiples sont créées par succession de « dans » quelque chose « il y a » autre chose et ainsi de suite, du plus grand au plus petit élément dans le champ lexical donné de l’histoire-phrase en question, où l’on peut comprendre alors l’intérêt d’apprentissage de la langue en développant le vocabulaire autour d’un thème.

Il y a là une forme de comptine, de ritournelle ou de jeu d’enfant que l’on pourrait étendre et développer encore et encore et qui déraille à la fin par une chute inattendue, nécessairement brève et donc brutale pour pouvoir entrer dans le rythme de la ritournelle et la compréhension simple des apprentis lecteurs d’une nouvelle langue pour eux, chute à chaque fois aussi drôle que surnaturelle ou étrange, confinant à l’absurde pour mettre un terme net et précis à ces histoires-phrases pouvant être infinies sinon. Ainsi, dans la première histoire autour du foyer, on part de la maison, en passant par le père ou le bébé et on finit par le crocodile suivi de l’expression « Adieu petite famille ! ».

Ces courtes histoires comme des boucles narratives simples s’avèrent alors, au-delà de leur objectif éducatif premier, très drôles à raconter à des enfants dès un jeune âge pour leur brièveté, leur rythme et leur chute savoureuse.

À cela s’ajoutent les très belles illustrations de John Alcorn, très importantes, en plus de leur intérêt esthétique, dans l’aspect méthode de langue du livre en développant les accumulations en parallèle du texte pour en mettre les enfants sur la piste, les aider dans leur compréhension du français par une sorte de traduction en images. Ces illustrations au style rétro sont faites à la plume et rehaussées d’aplats de couleurs franches très pop caractéristiques du travail de l’illustrateur. Les jeux sur les typogrammes des titres des saynètes font d’ailleurs penser à certaines de ses affiches. À noter le décalage donné aux styles vestimentaires et de décorations représentés qui font référence aux années 20, ce livre s’inscrivant alors déjà vraisemblablement dans un style rétro dès sa parution en 1964.

À noter également les listes des vocabulaires utilisés dans chaque histoire en français et en anglais à la fin du livre qui peut donc également être utilisé à l’inverse de son usage initial pour commencer à apprendre l’anglais ou juste être raconté pour ce qu’il est : un livre particulièrement drôle et tout aussi beau.

La Petite Famille, Sesyle Joslin et John Alcorn, éditions Memo, 16 euros, à partir de 3 ans (ou plutôt 7 ans dans son usage d’origine).

Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.

Pour plus d’informations sur les éditions MeMo.

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