Voilà un livre dont j’ai envie de parler ici depuis que je l’ai lu sans savoir vraiment par quel angle l’aborder, tournant autour depuis quelques semaines alors que c’était évident : ce livre est l’un de ceux qui m’ont le plus émue récemment, j’ai été touchée dès les premiers mots, dès les premières illustrations et leur rapport au texte, à la première lecture, à la relecture, à la re-relecture. J’ai toujours aimé les émotions fortes dans mes lectures mais ce n’est pas forcément ce dont je parle avec le plus d’aise, ayant plutôt une tendance à l’analyse pouvant éloigner le ressenti.
Je suis le travail d’auteur d’Alex Cousseau depuis longtemps notamment avec ses courts romans au Rouergue souvent drôles, bien vus et d’une langue très intéressante mais aussi avec ses romans plus denses pour adolescents ou ses albums au Rouergue toujours ou au Seuil jeunesse. En parallèle, j’aime tout particulièrement le travail d’illustration d’Eva Offredo, très intéressant à travers différents albums parus notamment à la Joie de Lire mais aussi dans diverses autres maisons d’édition dont certains déjà réalisés avec Alex Cousseau, dont le très beau Paraquoi, paru aux éditions À Pas de loups l’an dernier.
Ici, Murdo est un yéti imaginaire listant et décrivant ses rêves impossibles. Comme une mise en abîme en boucle de sa condition de personnage d’histoire, Murdo est imaginaire en tant que yéti, personnage du folklore tibétain, mais également en tant que personnage même de ce livre. Ainsi, le premier rêve de Murdo, celui qui conditionne alors tous les autres rêves évoqués est d’exister en dehors des pages d’un livre. Alors, certains de ses rêves peuvent sembler plutôt simples pour nous, dans notre condition et notre monde, comme faire un château de sable, cacher un trésor ou avoir un enfant, mais s’avèrent de fait impossibles au yéti de papier qu’est Murdo. D’autres de ses rêves sont impossibles impossibles, c’est-à-dire impossibles en eux-mêmes, pour Murdo bien sûr mais pour nous aussi, en allant vers l’imaginaire, l’onirique comme de manger un sandwich à tout, dont un petit lac ou un vieil avion, voyager en arbre ou être l’ombre d’une montgolfière.

Dans cet imaginaire réjouissant créé par l’auteur, l’on peut trouver une certaine forme de poésie de l’oxymore avec plusieurs niveaux de réalité mis sur le même plan, des détails du langage faisant vriller la réalité ou liant différentes réalités sans les opposer.
Les cinquante-neuf rêves mis alors bout à bout, un par page ou plus ou moins se répondent par un jeu d’anaphore avec la ritournelle du « j’ai toujours rêver de », formant un portrait en creux du yéti Murdo par ses rêves impossibles, succession de saynètes faites de dialogues et anecdotes souvent au conditionnel des presque possibles.
Il y a de la poésie dans la langue magnifique d’Alex Cousseau qui nous saisit par ses images et sonorités, par sa beauté en elle-même, par son attention aux mots donnant le beau. Il faut dire que Murdo a « toujours rêvé de tricoter un pull avec les mots d’un poème ». Murdo est mélancolique par l’impossibilité même de ses rêves mais il est aussi drôle par la fantaisie de certains, tendre, voire philosophe dans cette façon qui nous est donnée de voir le monde et il est extrêmement touchant en tout cela.

À ce très beau texte s’ajoutent les illustrations et la conception graphique d’Eva Offredo qui ne répondent pas seulement au texte mais l’englobent dans une imbrication texte-images-mise en page très forte et intéressante.
Les illustrations d’Eva Offredo représentent Murdo et ses rêves par un trait épuré aux contours forts avec un côté malicieux, expressif et drôle, de nombreux clins d’oeil entre les différentes pages qui se répondent et un esthétique assez rétro, voire pop, pouvant faire penser aux années 70, cela étant renforcé par l’usage de trois couleurs tranchées : bleu, orange et marron.
Aux jeux sur les lettres, mots et sons se lient les jeux sur les images, la typographie et le mise en page par un soucis du détail et certaines trouvailles graphiques particulièrement saisissantes. Tout y est à sa place, très réfléchi, mais la poésie du livre, dans son texte comme dans ses illustrations et dans sa mise en page, n’en ressort que mieux.
Est à noter le beau travail de fabrication du livre, tel un petit album précieux à l’esthétique rétro de l’encart en sorte de vignette pour l’illustration de couverture en jaquette, des typographies utilisées, de la mention en couverture des « images » d’Eva Offredo et des pictogrammes sur le dos du livre, du code-barre suivant la pente de la montagne et du prix intégré à un flocon de neige à la mention de quatrième de couverture : « On me dit que les yétis n’existent pas. Et pourtant je suis là. »
Murdo, Alex Cousseau et Eva Offredo, éditions du Seuil jeunesse, 14,50 euros, à partir de 6 ans.
Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.
Pour plus d’informations sur Alex Cousseau et sur les éditions du Seuil jeunesse.
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