J’ai toujours vu les éditions 2024, avant même qu’elles n’éditent expressément des livres jeunesse, comme un éditeur de beaux livres illustrés tout public avec de la générosité, de l’abondance, de belles illustrations, de grandes aventures, des rebondissements ; une partie de leurs bandes dessinées peut ainsi convenir tant à de grands enfants, des adolescents que des adultes, chacun y trouvant son intérêt, le même ou des intérêts se complétant. Il n’était alors que temps qu’ils développent une collection jeunesse qui, inversement, peut aussi beaucoup plaire aux adultes en retrouvant ce goût pour les beaux livres, l’illustration soignée ou les textes fouillés. On y retrouve d’ailleurs des auteurs et illustrateurs habitués aux livres pour adultes qui se prêtent parfaitement à l’exercice du livre pour enfants sans pour autant simplifier ni leur propos ni leur trait, ce qui peut parfois être l’écueil du passage de l’un à l’autre.
De plus, et cela n’est que pour me plaire plus encore, les éditions 2024 montrent un certain goût pour l’édition patrimoniale en éditant ou rééditant, parfois en collaboration avec la BNF, des premières bandes dessinées du XIXe siècle ou du début du XXe siècle avec Gustave Doré, G. Ri ou encore Frank King. De ce catalogue a priori hétéroclite entre illustration contemporaine et patrimoniale naît une grande cohérence, une forme de modernité intemporelle.
Dans ce contexte particulièrement intéressant vient donc de paraître Onze Chatons dans un sac de Noboru Baba, réédition d’un grand classique d’une série d’albums pour enfants japonais parus originellement entre les années 60 et 80, après une première édition en français de deux albums de la série aux éditions Milan dans les années 2010, épuisés depuis longtemps.

On y suit un groupe de onze chatons indifférenciés, ou plutôt de dix chatons interchangeables et de leur chef chat tigré, qui ne peuvent résister à l’envie de faire tout ce qui leur est interdit par des panneaux jalonnant leur chemin, de la cueillette de fleurs à l’entrée dans un sac, ce qui va les mener, au fil des rebondissements, jusqu’à un monstre qui va les piéger en profitant de leur naïveté qui s’avèrera toute relative, les chatons se montrant alors plus malins que prévu pour se sortir de ce pétrin.
La narration en boucle instaurée par l’auteur autour de chaque nouvel interdit se présentant aux chatons donne un texte particulièrement drôle avec cet humour du prévisible, de la répétition s’ajoutant à une certaine insouciance ou espièglerie, une forme de joie toute enfantine dans la transgression de petits interdits, du risque a priori calculé. Ce comique de situation à répétition auquel s’ajoute le personnage du monstre, méchant archétypal passant du terrifiant à la bêtise, tend vers l’humour absurde, aussi drôle que parfois déroutant dans cette fable irrévérencieuse.
Dans cette forme de cascade de conséquences à laquelle prend part la file joyeuse des onze chatons, le déchiffrage par syllabes des panneaux en clin d’oeil à la découverte autant de la lecture que des interdits induits par elle rend la lecture à voix haute de cet album particulièrement réjouissante, des relectures très fréquentes étant à prévoir pour continuer cette boucle narrative jubilatoire encore et encore !

À ce texte réjouissant se marie à merveille les traits fins aux contours arrondis de l’auteur, ses volumes sous forme d’aplats, ses couleurs franches mais pastel et non réalistes qui renforcent l’aspect faussement naïf de l’histoire et de ses personnages. L’usage des contrastes de couleurs par Noboru Baba est saisissant dans sa représentation d’un monde atemporel et irréel mais pourtant très reconnaissable par tous.
À cela s’ajoute la fabrication très soignée du livre, comme toujours avec les éditions 2024, faisant ressortir à plein les couleurs de l’auteur. La couverture attire d’emblée l’oeil par sa composition et ses contrastes, son dos toilé et le très beau typogramme d’inspiration japonaise du titre réalisé par Eric Bricka.
Onze Chatons dans un sac, Noboru Baba, éditions 2024, 14,50 euros, à partir de 4 ans.
Pour écouter la chronique et toute l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où elle a été diffusée.
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