Ramona Bādescu est autrice de livres pour enfants depuis une vingtaine d’année et est connue pour certaines séries d’albums ayant accompagnés bien des enfants, dont Pomelo, illustré par Benjamin Chaud aux éditions Albin Michel jeunesse, ou Gros-Lapin, illustré par Delphine Durand aux éditions hélium. L’on retrouve dans son travail tant de finesse et de douceur que d’humour avec un grand soin apporté à la justesse de la langue.

Julia Spiers est illustratrice et graphiste pour différents types de livres jeunesse, des albums aux tout carton, des documentaires aux pop-ups, en passant par la presse et la publicité. Elle utilise différentes techniques avec une prédilection pour l’aquarelle et la gouache lui permettant de représenter autant de portraits que de décors naturels luxuriants.

Dans cet album, l’on suit la vie d’une famille autour d’un néflier trônant au cœur du jardin de la maison familiale. Le temps passe au fil de 68 ans, avec trois générations que l’on voit évoluer en parallèle du néflier et de son propre épanouissement, comme un miroir aux histoires parallèles des membres de la famille qui se croisent à son ombre ou à ses côtés.

À la première lecture, ce temps et cette évolution sont pris à rebours, de 2020 à 1952, date de la plantation accidentelle de l’arbre par des noyaux crachés au hasard par les enfants de la famille. À la fin de cette première lecture inversant le fil du temps et pouvant en cela dérouter, l’on réalise en refermant le livre que sa quatrième de couverture n’est peut-être qu’une seconde couverture, autre entrée dans le livre suivie d’un déroulé alors chronologique éclairant la lecture. Nous voilà donc assez naturellement menés dans une sorte de livre palindrome, que l’on peut lire dans les deux sens, cela ne mettant pas l’accent sur les mêmes événements, détails ou enchaînements, chaque sens éclairant l’autre. La première lecture se fait a priori par tous dans le même sens en suivant nos habitudes communes de gauche à droite. C’est à partir de la deuxième lecture que chacun s’approprie le livre à sa façon propre. En remontant dans le temps, l’on découvre tous les enchaînements de la vie de la famille autour de ce néflier ayant mené à la fête sous le grand arbre du début, au du moins du premier début. Le livre est alors à lire, relire et relire encore de tant de façons différentes pour en découvrir toutes les subtilités.

Le texte de Ramona Badescu est sobre, pudique et poétique, portant parfaitement cette intéressante construction du récit à double entrée en laissant toute la place au lecteur actif. L’anaphore du « au début » du titre est répétée à chaque début de phrase comme une sorte de ritournelle lancinante. Le début est ici à chaque bout du livre, mais peut également se trouver à chaque page, chaque moment de la vie des membres de cette famille, comme un début de quelque chose qui en donnera d’autres. Il y a là une boucle que l’on pourrait reprendre à l’endroit où on le souhaite à la lecture. D’autant que le premier début n’est pas forcément un début en soi, ni même une fin mais un instantané de retrouvailles sous le néflier dans la vie de cette famille. Le rythme donné par le texte est doux et plutôt lent. Le texte en encart en bas laisse beaucoup de place aux illustrations et n’est d’ailleurs pas présent sur chaque page. À cela s’ajoute un encart en haut à gauche de chaque double page avec la date en question. Nécessaire à la compréhension première du fil de la narration, ces simples mentions nous guident dans l’évolution par la mise en avant de sauts dans le temps ou d’enchaînements de moments plus rapprochés.

Le texte laisse toute sa place aux évocations, par la mise en rapport des dates et des images, sur la famille, le temps qui passe, la permanence de la nature ou ses évolutions. Le sous-texte est très fort par de nombreux parallèles montrés tout en ne parlant principalement que de la vie naturelle, de l’écosystème du néflier. Toute la poésie de l’autrice réside dans ces suggestions développées autour de l’alliance entre texte et images où alternent plans large ou détaillés, scènes de doubles-pages ou pages parallèles entre la vie du néflier et celle de la famille. La seule évocation dans le texte des personnages est avec les enfants à la fin (ou à l’autre début) qui chapardent quelques nèfles dans un arbre pour les dévorer et en jeter les noyaux dans le jardin, donnant alors naissance à l’arbre fondateur, sûrement plus important ici pour la famille et ses souvenirs que la maison en elle-même.

Les illustrations de Julia Spiers portent parfaitement le texte mais surtout le sous-texte évoqués. Les images sont en elles-mêmes très narratives, liées par ces mentions de dates et ces parallèles ingénieux avec l’évolution de l’arbre. La technique de l’aquarelle utilisée par l’illustratrice apporte des couleurs fortes aux aplats plus ou moins texturés mais sans contours avec des tracés tout en rondeur autant pour les personnages que pour les décors naturels donnant beaucoup de douceur et de sérénité au récit. L’on pense alors particulièrement à l’art naïf et au Douanier Rousseau, par ces personnages souvent contemplatifs et cette nature foisonnante détaillée finement sans être toujours réaliste. Si la découverte à rebours des personnages peut être déconcertante dans cette ligne du temps peu habituelle, l’on se rattache naturellement aux illustrations apportant des points de repères nouveaux ou inhabituels dans cette lecture. L’on distingue la couleurs des cheveux de l’une, la place du grain de beauté de l’autre, repères malgré le temps qui passe sur ces personnages que l’on voit grandir, vieillir ou rajeunir selon le sens de lecture, sur cet amour d’enfance et de toujours que l’on devine. Les détails liés aux différentes époques ont alors toute leur importance dans les décors par des vêtements, caméscopes ou autres accessoires liés à certaines années.

L’effet de symétrie porté par la narration et les illustrations est parfaitement rendu jusqu’à la belle fabrication du livre qui bénéficie réellement de deux couvertures aux compositions parallèles, de deux pages de titre, etc…

Au Début, Ramona Badescu & Julia Spiers, éd. Les Grandes Personnes, 22 euros, dès 5 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 62 min environ).

Pour plus d’informations sur Ramona Badescu, Julia Spiers et sur les éditions Les Grandes Personnes.

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