Jon Klassen est un auteur illustrateur canadien habitant aux États-Unis où il travaille également dans l’animation pour le studio Dreamworks. Plusieurs de ses livres, écrits seul ou avec Mac Barnett, ont déjà été traduits en France dont notamment la trilogie Je Veux Mon Chapeau aux éditions Milan ou celle des albums Triangle, Carré et Cercle aux éditions l’École des loisirs. J’ai déjà parlé ici de son travail il y a quelques années autour de l’album Le Rocher tombé du ciel aux éditions l’École des loisirs où il développe sa narration pour les enfants tournée vers l’épure et l’absurde tant dans les textes que les illustrations.
Voilà avec Ta Forêt, Ta Ferme et Ton Île, trois petits albums tout carton d’un format à l’italienne de prime abord très simples autour de ces différents lieux plus ou moins communs selon les enfants et leurs environnements directs. L’on suit à chaque page la construction progressive de chacun de ces endroits par l’ajout successif d’éléments constitutifs en commençant par le soleil qui se lève pour chacun puis les arbres et le chalet pour Ta Forêt, l’arbre et la grange pour Ta Ferme suivis d’autres à chaque tourne de page.

Petit à petit, sur le fond crème du livre, la page de gauche s’emplit de ces éléments agencés les uns avec les autres tandis que la page de droite décrit l’élément ajouté par après par une illustration représentative faite de formes géométriques schématiques aux feutres dans des teintes douces et naturelles alliée à un texte très court commençant par « Voici », nommant et décrivant la chose en question et l’endroit où elle pourrait aller dans la scène en construction. Chaque élément, naturel ou artificiel, est pourvu d’une paire d’yeux caractéristiques des illustrations de Jon Klassen, ce qui apporte humour, étrangeté mais aussi familiarité de l’anthropomorphisme dès l’abord du livre où l’on peut se plaire à détailler les mouvements des différentes pupilles pour fixer ces regards muets, guidant l’œil de l’enfant ou laissant apparaître la fatigue plus la nuit approche.
Ce concept aussi simple et adapté à des petit.es que fort et saisissant visuellement et à la lecture parvient à mêler intelligemment différents types de livres très prisés en petite enfance. L’on peut y voir de prime abord de sortes de petits imagiers thématiques reprenant en associant la représentation et le nom différentes choses que l’on peut rencontrer dans un lieu donné dans un but autant de découverte du monde plus ou moins quotidien que d’enrichissement du langage et du vocabulaire des plus jeunes. Cela est présenté sous forme de courtes histoires pouvant développer un rituel du coucher, chaque livre étant organisé autour de la journée, du soleil qui se lève à la première page à la nuit où tout le monde est endormi, le monde créé dans toutes ses composantes individualisées mais aussi l’enfant-lecteur partie de ce monde-là. Les phrases courtes et les sonorités répétitives donnent un rythme, une musicalité et une douceur à la lecture propice à un tel rituel. Dans ces cocons intimes et apaisants, des clins d’œil fantastiques sont amenés mais tout de suite qualifiés pour rassurer ou amuser comme l’intervention d’un gentil fantôme dans la forêt ou d’un feu magique ne s’éteignant jamais sur l’île.

Dès le titre et tout au long des textes, l’enfant-lecteur est interpellé et amené à participer au récit qui est aussi le sien par l’usage de déterminants possessifs de la deuxième personne du singulier pour qualifier chaque chose présentée qui devient immédiatement la sienne dans ces tableaux minimalistes reconstitués progressivement. Les emplacements et agencement des choses les unes avec les autres sont également suggérés par le texte et non imposés aux lecteur.ices comme s’il s’agissait d’une construction à laquelle il ou elle prenait part pour établir la scène d’un jeu à venir, comme tant de lieux confortables où l’on se sent bien, où l’on veut revenir comme l’on souhaite relire ces petits livres. Au-delà de l’imagier ou de l’histoire rituelle, ils peuvent devenir des livres à jouer par les possibilités ouvertes autour de ces décors plantés pour y inventer des histoires, points de départs invitant, si on le souhaite, à laisser courir son imagination par le jeu ou dans les rêves après que tout ce soit endormi à chaque fin d’ouvrage.
Ta Forêt – Ta Ferme – Ton Île, Jon Klassen, traduction de l’anglais par Alain Gnaedig, éd. L’École des loisirs, coll. Pastel, 11 euros l’un.
Pour retrouver l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 70 min environ).
Pour plus d’informations sur la collection Pastel de l’École des loisirs.
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