Cruschiform est autrice, illustratrice et graphiste. Elle travaille pour l’édition jeunesse, la presse et la publicité. J’ai déjà parlé ici d’Il était un forme, un album qu’elle a écrit avec Gazhole aux éditions Maison Georges. Auparavant, elle a publié plusieurs albums ou documentaires jeunesse depuis une quinzaine d’années, principalement chez Gallimard jeunesse, de Ré-créatures au remarqué Colorama.

Elle revient ici à l’exercice du documentaire dans lequel elle excelle sur différents sujets en alliant précision scientifique et regard de design graphique sur le monde. Dans L’Odyssée des graines, l’on découvre un fascinant inventaire de nombreuses graines (et quelques fruits) par le prisme de leur mode de dispersion, transport permettant leur reproduction, leur voyage et leur dissémination. Ce parti pris de classement s’avère particulièrement adapté au sujet tant les graines peuvent nous sembler parfois fragiles alors que l’on découvre ici toute l’ingéniosité et l’évolution de la nature pour permettre la survie et le développement de ces plantes en devenir. Ainsi, selon les chapitres, l’on voyage avec des graines de toutes tailles, formes ou textures, dotées d’appendices parfois mystérieux leur permettant de s’engouffrer dans un coup de vent, de suivre l’eau, d’exploser sous le feu ou de s’accrocher aux animaux notamment.

Dès le titre du livre, l’on entend avec « l’odyssée » autant le voyage que les épreuves que ces différentes graines vont rencontrer. L’autrice partage sa fascination pour l’ingéniosité, l’adaptation mais aussi la résilience de la nature à travers l’exemple formidable de ces graines qui, l’air de rien, sont à l’origine de beaucoup. Si l’on peut y voir un réel hommage à cette biodiversité à laquelle on est invité.es à prendre plus conscience et soin, celle-ci nous est montrée comme d’une grande force d’innovation et de créativité pour arriver à se développer et perdurer. En nous montrant la beauté et la technicité de la nature, cela peut nous inciter à la protéger en apprenant à la regarder et à s’en émerveiller.

Chaque chapitre commence par une pleine double page d’un paysage cévenol où l’on peut admirer ou débusquer certaines graines en plein périple. S’en suit une explication du mode de transport utilisé puis un catalogue de différentes graines y répondant présentées autour d’une illustration en gros plan. Les graines ainsi exposées sous différents angles deviennent visuellement pour certaines presque abstraites dans leurs formes, structures, matières et détails et d’autant plus fascinantes dans la minutie des illustrations développant leur design délicat et précis. La forme de chacune, sûrement issue d’un long processus de perfectionnement technique, est liée à sa fonction, à sa nécessité et son mode de dispersion, que ce soit les hélices de l’érable ou les crochets de la bardane à l’origine, par biomimétisme, du velcro.

Cruschiform travaille ses illustrations aux couleurs vibrantes numériquement dans un soucis autant d’épure que de précision confinant à la planche naturaliste sur le fond des pages de couleur crème et le texte bleuté à la typographie élégante. Sous chaque illustration est précisé en guise de titre le nom populaire de la plante à venir, parfois drôle ou intrigant, puis sa caractéristique principale suivie d’un court texte où l’information précise devient une histoire. Tout en haut de chaque page est discrètement précisé le nom scientifique ainsi que l’échelle de l’illustration, montrant aussi bien de minuscules graines de chélidoine que d’imposantes noix de coco.

Par cette invitation au voyage, le documentaire, tout en restant précis et renseigné en ayant bénéficié de la relecture d’Yves Pauthier, responsable de la banque des graines du Muséum National d’Histoire Naturelle, devient narratif. Par ses textes mêlant poésie botanique et anecdotes amusantes ou palpitantes, l’autrice invite à la lecture à voix haute, souvent plus propre à l’album qu’aux livres documentaires. C’est en s’ancrant dans ce réel fascinant et souvent méconnu que l’on permet, par l’alliance du texte et des illustrations, de faire voyager l’esprit et l’imaginaire des lecteur.ices dans cette aventure aussi subtile qu’éblouissante, sorte de naturalisme poétique.

À noter l’intéressante réflexion de l’autrice et de son éditrice autour de la fabrication de ce livre afin qu’il soit aussi respectueux de l’environnement que possible autant par l’impression et le transport que par le choix du papier et des encres, contraintes créatives poussant l’autrice à développer son esthétique et sa délicatesse en ce sens.

Laisser un commentaire