Cela fait longtemps que je n’ai pas parlé ici de bandes dessinées mais voilà que cela s’imposait pour ma dernière chronique de la saison avant la trêve estivale ! Les Ondines est une collection créée il y a deux ans au sein des éditions Dupuis, mastodonte belge de l’édition de bande dessinée francophone, pour y publier des bandes dessinées d’auteur.ices pour enfants avec des styles d’illustrations et de narrations sortant des classiques de la bande dessinée jeunesse sur des paginations plutôt importantes. Y ont déjà été publiées Yoon-Sun Park, Nadja ou Camille Jourdy notamment.

Lucas Méthé est un auteur et illustrateur de bandes dessinées ayant commencé à publier il y a une quinzaine d’années chez Ego comme X et l’Association ainsi que dans des fanzines. Son travail a été particulièrement remarqué plus récemment avec sa bande dessinée chez Actes Sud Papa Maman Fiston et ses suites. Sa première incursion dans la jeunesse date de 2019 et Les Mystères de Jeannot et Rebecca avec François Henninger à l’Atelier du Poisson Soluble. Le premier tome des aventures de Gosse, Gosse et les Berges, a paru l’an dernier chez Dupuis.

Gosse et son ami Taigne est le deuxième tome de cette série suivant la rencontre et l’amitié de Gosse, un gentil petit Drômois et de Taigne, un Ardéchois, ou presque, colérique et méfiant, à cause d’une crue du Rhône les ayant fortuitement réunis. Ici, les deux compères se rendent à Lyon à l’invitation du Comité des Sciences leur demandant de créer une machine à même de calmer l’impétuosité du fleuve.

Nous voilà embarqué.es dans un récit d’aventure et d’amitié qui a tout du grand classique instantané pour la jeunesse, nous rappelant le Tom Sawyer de Mark Twain au bord du Mississippi. Il y a là un récit d’apprentissage marquant pour un public enfantin où les personnages évoluent, grandissent, inventent et s’entraident. L’aventure vient à partir de presque rien et va les mener, à pied, à traverser bien des paysages pour arriver jusqu’à la grande ville de Lyon et s’en retourner travailler à leurs inventions. Lucas Méthé maîtrise à merveille l’art de croquer des personnages savoureux dont les prénoms ou surnoms sont tout de suite adoptés, devenant des compagnons d’aventure idéaux l’un pour l’autre et pour les lecteur.ices. Au-delà de Gosse et Taigne est développée toute une galerie de personnages secondaires pittoresques entre le facétieux chien Floude, l’inquiétant père de Taigne ou l’étonnant savant notamment. Voilà une grande aventure feuilletonnante chapitrée sur environ cent vingt pages où les personnages se révèlent plus importants que le fil de l’intrigue en elle-même. S’en dégage une grande proximité avec les enfants lecteur.ices de ce qui pourrait être leur première grosse bande dessinée à savourer quand on commence à lire seul.e et où l’on s’imaginerait bien avec Gosse et Taigne, le sourire aux lèvres. Le livre s’avère tout aussi délicieux à lire plus tard, avec alors presque un sentiment de nostalgie de l’enfance, de ses jeux, de son insouciance et de sa spontanéité.

L’encrage géographique du récit est très fort entre la Drôme et l’Ardèche, prenant le contrepied total des mondes imaginaires comme des a priori sur la littérature régionaliste. Ici, Gosse explore d’abord son territoire très restreint pour poursuivre en partant à l’aventure, d’abord en Ardèche, région limitrophe mais inconnue, source de racontars en tous genres, puis jusqu’à Lyon, ville objet de tous les fantasmes et croquée joyeusement sans aucune volonté réaliste autre que celle de l’image qu’en aurait un enfant y débarquant. Dans le déroulé du récit, l’importance de ce paysage, de cette campagne belle et rude est réelle : voilà un chemin ou une butte et l’aventure commence, celle que l’on se crée avec Gosse. Les personnages interagissent réellement avec le décor du fleuve à traverser sans pont, du rocher à escalader… À cela s’ajoute le Rhône, fleuve impétueux et parfois irrationnel qui en deviendrait presque un personnage à part entière. Si cet encrage local est très marqué, celui temporel est volontairement flou, nous plongeant hors du temps dans l’universel de l’enfance. L’on pourrait placer l’intrigue au début du XXe siècle sans que cela importe tant sur le récit. Ici, il n’est pas question de rendre compte de la réalité historique d’une époque mais plutôt de celle de ressentis et de projections d’enfants qui de plus se déplacent principalement à pied, sur un temps vraisemblablement long mais qui file avec eux. Ainsi, dans cette absence de réalisme plutôt réjouissant, les parents sont très peu présents et pas inquiets pour deux sous ou encore le maître d’école est parti manger des nougats à Montélimar.

Ici, le premier degré est assumé, positif et bienveillant, nous plongeant avec joie aux côtés de ces personnages attachants. S’il est question de leur amitié, de la naissance de celle-ci et des liens et attaches qu’elle crée, cela permet d’évoquer des notions de tolérance et d’entraide entre Gosse, Taigne et le chien Floude. Toute la fantaisie enfantine qui se dégage de ce récit nous réjouit par autant de tendresse que d’humour. Il est question du regard de Gosse, de sa fraîcheur et de l’émerveillement qu’il engendre plus que d’une soi-disant naïveté enfantine : il est attentif et curieux des moindres petites choses qu’il voit et rebondit avec vivacité et débrouillardise sur les occasions qui se présentent sur son chemin. Le ton de Lucas Méthé pour parler de ces enfants et de l’enfance est particulièrement juste dans son aspect réaliste amusant, dans sa façon de saisir l’insouciance et le goût de la liberté sans angélisme ni nostalgie affectée. L’on pense alors au Spirou de Franquin en lisant là une réelle bande dessinée tout public que l’on dévore enfant ou plus tard et qui nous marque longtemps, une bande dessinée qui nous fait rêver d’aventure au long cours et d’amitié, une bande dessinée où l’on se plonge délicieusement pendant l’été ou en tout autre temps.

Les illustrations de Lucas Méthé sont réalisées à la plume et colorées à l’aquarelle, permettant un fourmillement de détails dans les décors autant que la mise en place de nuances et de couleurs subtiles et saisissantes. Les paysages sont somptueux, tenant la place qu’ils ont dans ce récit. Au-delà de cette campagne représentée selon un certain classicisme, des personnages loin du réalisme nous vient un sentiment d’étrangeté intéressant par leurs visages expressifs et rugueux et leurs corps courbes et dégingandés. Le mouvement est parfaitement rendu, que ce soit celui des personnages ou du moindre brin d’herbe effleuré par le vent. Un travail intéressant a été fait sur le découpage et le gaufrier évolutif : chaque entrée de chapitre commence par une grande scène encerclée surmontée du titre, renforçant par la forme le lien, à la lecture, avec de grands classiques de la littérature jeunesse. Le lettrage manuel met en avant certaines intonations ou certains bruits ou onomatopées, rendant le récit d’autant plus vivant. À noter la belle fabrication du livre, comme de toute la collection des Ondines, permettant toute l’expression de l’auteur.

Un commentaire sur “#99 – Gosse et son ami Taigne – Lucas Méthé

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