Lisa Laubreaux est une autrice et illustratrice dont c’est le premier album publié. Elle a déjà travaillé pour la presse, dont le Magazine Georges, et a vu paraître il y a quelques années, déjà aux éditions Maison Georges Oh ! mon bateau, un grand, drôle et beau cahier d’activités autour de ses illustrations.

Minigolf est un livre-jeu reprenant le principe, sur un format album, des livres dont vous êtes le héros. Le héros ou l’héroïne est donc l’enfant-lecteur.ice qui s’incarne ici en une balle de minigolf en quête d’aventures, seule sur le terrain à la fin de la journée, après la fermeture au public du lieu. Son but, et celui du lecteur.ice, est d’arriver au grand bal des balles au château où l’attendent toutes les autres balles ayant fini leurs parcours. Mais y arriver ne va pas être de tout repos ! L’histoire évolue dans ses péripéties selon les choix faits par l’enfant à la fin de chaque double-page proposant souvent deux possibilités l’amenant vers deux pages différentes, rebroussant même parfois chemin dans cet enchaînement d’embranchements à choix multiples. Voilà donc qu’il faudra à la balle sauter dans le vide ou dans l’eau, rencontrer des animaux, éviter les crottes et chewing-gums… Mais peut-être aussi partir en vacances avec un ver de terre, rencontrer une communauté hippie ou même tomber amoureuse.

La construction du livre est très travaillée autour du principe du livre dont vous êtes le héros. Voilà un type de livres originellement plutôt représenté dans les romans avec la série initiale éditée chez Gallimard jeunesse dès les années 1980 et ayant donné son nom à ce qui devient une catégorie de livres jeunesse. Depuis, de nombreux autres romans ou albums pour tous les âges ont été développés sur ce principe narratif de choix multiples. Les intrigues de ces livres prennent le plus souvent corps dans des univers fantasy ou médiévaux. Si l’on garde le château comme but, il s’agit d’un château miniature de décor de minigolf. L’univers développé par Lisa Laubreaux change totalement des classiques du genre. Le lieu du minigolf des Vagues Bleues donne un aspect suranné, insouciant et joyeux à l’histoire que l’on situerait volontiers pendant les vacances d’été, sûrement pas trop loin de la mer. Mais le simple fait que l’histoire commence à la fin de la journée, alors que tous les visiteurs sont partis, permet de développer un monde caché et fascinant. L’usage même du livre-jeu permet avec ce seul livre et la minutie de son autrice de multiplier autant les péripéties que les histoires possibles, différentes à chaque lecture. On peut y voir le plaisir des enfants d’inventer leurs propres histoires à base d’ « on dirait que ». Ici, ils et elles y participent, guidé.es avec brio par l’autrice parmi ces rebondissements drôles et surprenants que l’on se plairait à continuer encore et encore.

Le fait que la balle de minigolf, objet inanimé, soit l’héroïne du livre et du jeu permet de décaler l’univers classique de ce type de livres. L’autrice prend en compte cet aspect inanimé et n’use pas dans ses caractéristiques et capacités d’un trop grand anthropomorphisme. La balle ne se retrouve jamais affublée de mains ou de pieds, elle ne peut pas attraper quoi que ce soit ni courir ou nager, mais seulement rouler ou rebondir. Cela est totalement intégré au récit donnant des scènes et enchaînements de conséquences particulièrement amusants. La balle est toutefois dotée de deux yeux et d’une bouche lui permettant d’adapter son expression aux situations avec beaucoup d’humour, tel un petit smiley rebondissant à loisir. La balle, en tant qu’objet, et son univers sont de fait non genrés : une grande attention a été portée au texte afin qu’aucun genre n’y apparaissent. Cela permet d’éviter les a priori de certain.es adultes à propos des albums jeunesse et des enfants à qui ils seraient destinés. Cela peut aussi renforcer les projections de l’enfant sur cet objet-personnage qui l’incarne et qu’il ou elle imaginera à sa guise.

Au-delà de cet aspect ludique mais également grâce à lui, un parallèle peut être fait entre cette quête à hauteur de balle de golf devenant une sorte de parcours initiatique et la condition enfantine ou humaine plus largement. Par le principe même du livre-jeu, l’enfant est amené à prendre des décisions, à faire des choix qui influent sur son parcours et sur l’histoire. L’enfant-lecteur peut se retrouver ici en plein jeu entre fascination, compétition, curiosité voire appréhension. Les décisions ne sont pas forcément faciles à prendre et peuvent amener à des retours en arrière, la lecture-partie de jeu pouvant devenir interminable pour le plus grand bonheur des petit.es lecteur.ices. S’il s’agit d’éviter les embûches tels que des trous, crottes ou chewing-gums traînant sur son chemin, il s’agit aussi de faire des rencontres, de nouer des amitiés, de recommencer après un échec. Le chemin le plus court et le plus direct n’en devient pas le plus intéressant, les écarts de route étant bien plus enrichissants et amusants.

Les textes de l’autrice sont plutôt sobres et descriptifs, intégrés dans une cartouche en bas à droite des doubles pages mettant en avant les choix donnés aux lecteur.ices et les enchaînements d’actions déclenchant tout l’humour et la subtilité du récit. Le découpage est minutieux et très bien conçu entre les différents chemins possibles pour la balle mais également au niveau de chaque double page en elle-même. Certaines vont vers la séquentialisation et peuvent faire penser à une narration de bande dessinée sans texte avec une évolution par l’image de l’action en cases avant d’arriver au choix explicité par le texte en bas à droite venant à la fin de cette lecture de l’image. Ce livre figure d’ailleurs dans la sélection de bandes dessinées jeunesse du dernier Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.

Les illustrations de Lisa Laubreaux sont plutôt sobres et stylisées, faites de contours épais et courbes verts qui se fondent dans des aplats intenses de trois couleurs pantone, vert, rouge et bleu, parfois superposées et laissant une grande place au blanc de la page et de la balle. Cela renforce l’aspect cartoon de la balle-personnage apparaissant dès la couverture verte en carton épais où le O du titre est percé d’un trou laissant deviner la balle arrivée à destination. Les décors artificiels du minigolf donnent un environnement naturel étrange et des paysages intéressants développés par le style graphique de l’illustratrice et vus de l’échelle de la balle de minigolf. Un travail intéressant est développé sur le mouvement et la vitesse de cette balle qui roule, rebondit ou même coule.

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