Les éditions des Grandes Personnes sont une maison particulièrement reconnue pour son travail et expertise des pop-up et livres objets. L’autrice s’est ici tournée vers elle pour son premier livre animé grâce à de nombreux flaps aux différentes pages. Florie Saint-Val est illustratrice et graphiste et a déjà publié plusieurs albums notamment aux éditions MeMo, les Fourmis rouges ou Syros. Au-delà de son humour et de la finesse de ses narrations et illustrations, l’on peut noter son attrait pour le jeu, les livres-jeux et les objets illustrés. J’ai ainsi découvert son travail en 2010 avec la parution de sa Petite Fabrique d’Illustration Potentielle, livre d’activités pour enfants inspiré de l’OuLiPo paru alors au Baron Perché. Elle a également par la suite conçu et illustré un jeu de domino des feuilles chez MeMo. Autour de sa pratique, elle réalise et anime également de nombreux ateliers avec des enfants.

Dans cet album, en suivant dans le jardingue, jardin aussi doux que farfelu, le chemin vert de la couverture se transformant en bas de chaque page, voilà que l’on découvre sur son passage tant de maisons loufoques prenant corps dans les légumes du potager et même dans celle de l’escargot qui nous montre le chemin. L’on se fait tout.e petit.e et l’on visite avec ravissement le brocotel, la choumière, la saladachélème ou encore l’aubergine de jeunesse. Les volets mis en place par l’autrice se soulèvent, parfois en superposition, comme les feuilles ou détails de tel ou tel végétal, laissant apparaître les plans de coupe savoureux des minutieuses habitations qui s’y sont installées.

Depuis quelques temps, je remarque de plus en plus de livres pour enfants répertoriant tous types de maisons avec différents angles plus ou moins réussis. On pense notamment à la réédition de Dame souris & Cie, maisons sur mesure de George Mendoza et Susan Doris Smith aux éditions du Père Castor. C’est que le sujet est passionnant, entre le premier cocon de l’enfant, pouvant souvent correspondre à certains de ses premiers dessins, et des questionnements autour de l’architecture, des habitations, de celles des humains et des animaux, de la ville ou de la campagne.

Ici, l’on sort d’un aspect presque documentaire possible dans ce type de livres catalogues en découvrant le monde parallèle au potager qu’est le jardingue mis en place où la nature prend toute sa place tout en devenant totalement fantaisiste. Cela en deviendrait presque comme un imagier du potager imaginaire où des petites bêtes installeraient leurs maisons bien organisées. L’on s’y imagine alors de la hauteur d’un insecte en train de cheminer entre les légumes-maisons, de les visiter et de deviser avec leurs habitants confortablement installés dans ces abris douillets et fort bien équipés. Un jeu d’observation se met en place pour débusquer les nombreuses et réjouissantes trouvailles de l’autrice disséminées dans les légumes habités. Cela est précisé dès le début où les lecteurs et lectrices sont invité.e.s à suivre le chemin à vitesse d’escargot, à observer ce qui les entoure sans se presser. L’imagination folle de Florie Saint-Val semble toute communicative aux enfants qui auront sûrement bien envie d’enrichir la liste de ces fantastiques maisons et d’agrandir encore ce fabuleux jardingue.

Les textes de Florie Saint-Val fonctionnent autour des jeux de mots qu’elle crée dans son jardingue pour en faire tout cet univers parallèle loufoque et inventif mais très cohérent. Ainsi, les noms des maisons sont formés comme des mots-valises mélangeant légumes et types d’habitations. Mais cela va bien au-delà avec tous les détails, mobiliers et ustensiles qui s’y trouvent et mêlent joyeusement notre quotidien et l’univers naturel et végétal avec beaucoup de fantaisie. Comme des notes sous chaque volet plutôt qu’en bas de pages, certains détails des maisons que l’on observe y sont numérotés et expliqués, donnant lieu à de nombreuses blagues. Les intérieurs sont totalement végétalisés avec notamment un fauteuil en mousse ou un robinet d’eau de pluie. À cela s’ajoutent des références décalées dans cet univers naturel : l’on y écoute Radio Fenouil et l’on y lit le Hors Série Ma Maison Mon Cocon de Papillon Mag, l’on découvre avec délice et le sourire aux lèvres le menu du Brocotel et la liste des livres les plus empruntés à la bibliothèque de la Betterasouplex. Autant de joie, de malice, de bienveillance que de douceur se dégagent de la lecture et de l’observation minutieuse de ce livre. À noter l’usage par l’autrice de l’écriture inclusive avec point médian qui n’apparaît qu’une fois dans l’album, montrant bien que cela peut devenir tout naturel et évident.

Si cet univers inventé comme une utopie par Florie Saint-Val s’avère réjouissant, il dénote de questionnements autour d’une vie collective et solidaire des habitant.e.s au sein de ce lieu, le jardingue. La question de l’habitat semble importante pour l’autrice qui l’a déjà évoqué dans Mon Voyage dans la maison et Toc-Toc Ville ! aux éditions MeMo. En cela, si l’univers est léger et amusant, il n’en est pas si loufoque et peut amener à des interrogations intéressantes quant à notre vie en société.

Les illustrations de Florie Saint-Val sont réalisées avec des encres colorées. Les images prennent corps dans leurs multiples détails par des formes douces et souvent arrondies en aplats sans contours dont les encres plus ou moins diluées révèlent relief et texture. Les couleurs sont franches et acidulées dans des tons principalement de verts, roses et marrons. Cela reprend des couleurs naturelles saturées devenant fantaisistes, ce qui donne un aspect très pop à ce jardingue. L’on y sent l’inspiration de dessins d’enfants par cette rondeur, la marque de la ligne du sol ou l’absence de perspective mais aussi d’une forme d’art brut. Ce travail fascinant est particulièrement bien mis en valeur par la belle fabrication de l’album avec une reliure à la suisse et un cahier cousu permettant une pleine ouverture des pages parfaite pour s’y plonger longuement.

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