Romain Bernard est un auteur et illustrateur dont j’ai repéré le travail avec ses premiers albums jeunesse parus il y a quelques années : Chromopolis aux éditions Maison Eliza et Jour après Jour à la Martinière jeunesse. L’on peut également retrouver ses illustrations à la gouache dans la presse ou sur plusieurs couvertures de romans.

Voilà ici un voyage en train vers les vacances d’un parent et de son enfant raconté par la vue de la fenêtre du wagon, comme un encadrement aux coins arrondis de chaque image. Les paysages défilent et évoluent devant nos yeux. L’on comprend, au fil de ce récit au futur, que ce grand voyage aura lieu le lendemain mais qu’il est déjà bien présent dans les pensées, les questions et peut-être les rêves de l’enfant alors qu’il va se coucher.

Les deux personnages sont presque invisibles dans cet album. L’on peut toutefois voir l’enfant sur la dernière double page explicitant le processus narratif du livre en nous montrant la chambre de l’enfant lui-même endormi après avoir écouté l’histoire de ce voyage tout proche. Sa main intervient également parfois, comme en couverture de l’album, jouant à attraper le train ou les animaux vus au loin dans un délicieux jeu d’échelles et de plans qui se confondent. Sinon, le parent et l’enfant ne sont présents que par le texte et non dans les illustrations. Le texte est entièrement dialogué entre ce que l’adulte raconte du futur trajet en train et les quelques questions de l’enfant qui semble progressivement sombrer dans le sommeil et les rêves d’escapades. Cela crée un intéressant décalage entre ces vues de paysages qui défilent et les explications anticipées de celles-ci entre deux personnages que l’on imagine seulement.

Il y a là de l’excitation des vacances mais surtout du voyage en lui-même. De l’attente et de l’exaltation propres à la dernière nuit avant le départ, nuit qui s’annonce courte pour un voyage dès l’aube. C’est prendre le train, regarder par la fenêtre, voir encore la ville du départ, les immeubles alors que le jour se lève à peine, passer par la campagne et ses animaux qui paissent, voir différents paysages, apercevoir furtivement la mer comme destination tant attendue, arriver vraiment face aux immeubles de la Grande Motte et à l’étendue de la Méditerranée. Un parallèle peut être fait avec la chambre de l’enfant vue à la toute fin de l’album où l’on retrouve un train mécanique, une valise déjà prête pour le départ et une très belle sélection d’albums de vacances et de voyages. L’enfant y est endormi avec la main dans la position de celle sur la couverture où il fait mine de jouer avec le train qu’il voit au loin de la fenêtre. Le rêve rejoint alors la réalité telle que racontée et la réalité future. L’on est là comme dans une rêverie d’anticipation, réjouissante par toutes ces découvertes à venir autant que paisible par le ton apaisant de l’adulte qui raconte le voyage comme il souhaite endormir l’enfant.

Le long temps prévu du voyage est émaillé de jeux et observations de l’enfant qui peuvent devenir ceux de l’enfant-lecteur entre excitation, langueur et joie des découvertes minuscules ou fondamentales. La fenêtre du train se transforme en spectacle avec les rideaux l’encadrant qui dévoilent la scène et l’ours en peluche en Monsieur Loyal. Il s’agit de découvrir, de compter les animaux, d’observer les fluctuations de la météo, la forme des nuages, les évolutions de la végétation, d’imaginer les personnages dans chaque paysage comme autant de nouvelles histoires à se raconter. L’imagination enfantine rejoint celle de l’auteur pour nous ravir autant que nous émouvoir dans cette narration drôle et poétique. Voilà une ode à la rêverie, à l’esprit qui divague en observant ce qui défile sous ses yeux. Il y a ici différents niveaux de rêves, différentes temporalités, entre les rêveries autour du voyage à venir en lui-même et celles autour d’éléments vus lors de cette traversée. L’enfant-personnage et l’enfant-lecteur se retrouvent entre rêve, réalité, jeu et projection. Tout cela peut en devenir un jeu d’observation pour le lecteur qui peut se prendre aux nombreuses distractions initiées par le personnage. D’autant que des visages ont été malicieusement cachés dans les moindres détails des images, jusque dans les nombreuses gouttes de pluie à l’horizontale sur la fenêtre du train.

Romain Bernard utilise avec finesse la gouache pour ses illustrations développant chaque paysage dans un beau format à l’italienne fort adapté. Les formes qu’il entremêle sont simples, régulières et souvent géométriques, divisant les plans des panoramas et mettant en valeur les détails. Un jeu de matières et d’intensités leur donne beaucoup de relief. Les couleurs choisies sont tranchées et plus ou moins réalistes dans des tons de rose, orange, vert et bleu principalement. Cela renforce l’aspect irréel de la rêverie en cours. L’évolution des teintes est subtile selon le moment du voyage que l’on imagine sur presque une journée, de l’aube encore sombre du départ au ciel rosissant légèrement au-dessus de la mer à l’arrivée.

Notre Voyage, Romain Bernard, éditions La Partie, 16,50 euros, à partir de 3 ans.

Pour écouter l’émission Ecoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 64 min environ).

Pour plus d’informations sur Romain Bernard et sur les éditions La Partie.

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