Les éditions du Livre publient des livres d’artistes pour enfants avec notamment à leur catalogue la peintre Julie Safirstein ou le graphiste Antonio Ladrillo. Comme le nom de la maison le laisse présager, au-delà de l’interpellation par l’utilisation d’un terme générique, un intérêt prégnant y est porté à l’objet livre et aux livres-objets. Leurs publications dénotent d’un travail sur la perception et la manipulation du livre par les enfants que ce soit, notamment, par les couleurs ou la forme même du livre.

Fanette Mellier est une graphiste formée aux Arts déco de Strasbourg. Elle réalise le graphisme de nombreux livres d’art mais également des projets plus expérimentaux. Avec elle, le graphisme devient un art en tant que tel et non plus seulement un moyen d’exécution ou de mise en valeur. Elle porte un grand intérêt à l’impression sérielle et aux différentes techniques industrielles d’impression. De cela découle son utilisation du livre dans l’expression de sa pratique artistique. Elle a déjà publié plusieurs livres jeunesse aux éditions du Livre et chez MeMo, dont deux nouveaux albums de sa série des Livres Magiques qui viennent de paraître. À noter un très intéressant livre d’entretiens autour de son travail : La Fabrique de Fanette Mellier aux éditions B42.

Un livre d’artiste peut se caractériser, au-delà d’un livre réalisé par un artiste reconnu comme tel, comme étant lui-même une œuvre d’art. Le livre en question est alors le medium utilisé par l’artiste pour imaginer et concevoir son œuvre au même titre que d’autres types de productions artistiques. Il peut alors parfois prendre une teinte expérimentale ou conceptuelle, utiliser des techniques d’impression ou de fabrication très particulières ou être numéroté. Ici, le livre est le résultat de l’exploration chromatique de l’autrice-graphiste-artiste. L’objet livre est indissociable de son projet artistique et est en cela un livre d’artiste. Il y a là une forme d’expérience pour Fanette Mellier qui se transforme par le biais du livre en expérience pour les lecteurs. Sous la forme classique de l’album se dévoile une œuvre. L’on se retrouve face à une certaine dichotomie entre l’aspect très familier du livre jeunesse et une certaine étrangeté dans la proposition conceptuelle qui s’y niche. Cette démarche me semble très intéressante en liant l’art et les enfants qui y ont bien droit eux aussi. D’autant que, souvent, les enfants, surtout avant l’apprentissage de la lecture, peuvent avoir une lecture des images très fine et intéressante. Il s’avère parfois fascinant de juste suivre ce qui accroche leur regard et guide leurs réactions à la vue de certaines images.

Voilà donc un album, d’un beau format à l’italienne s’ouvrant par le haut, intriguant dès sa couverture bleue où se distinguent seulement divers détails en dorure noire plus ou moins reconnaissables (une lune, un ballon, un chat…) semblant disséminés là au hasard. Puis, l’on ouvre le livre et voilà qu’apparaît sur chaque page du bas une suite de vingt-quatre fois le même paysage représentant une maison dont la grande fenêtre laisse deviner l’intérieur, son jardin et la nature environnante selon les variations des heures du jour et de la nuit. Les détails en couverture prennent alors sens, comme des balises que l’on retrouve à chaque page. Les pages du haut sont toutes unies de la couleur du ciel : l’œil se concentre sur le paysage tout en ayant cette couleur forte en aplat qui donne le ton du moment de la journée.

De ce qui semble de prime abord un paysage inanimé recèle d’une multitude de variations plus ou moins discrètes. L’on remarque tout d’abord les évolutions de la lumière et des couleurs, interrogeant sur la réalité de ces couleurs et sur ce que le moment de la journée change à notre perception. De page en page, à mesure que les aiguilles de l’horloge de la maison avancent et que notre œil s’aiguise, l’on peut découvrir tant de minuscules évolutions du vivant, végétaux et animaux, dans ce paysage semblant immobile. Ici, la nature s’éveille avec le lecteur. Certaines choses se développent ou bougent : l’on passe du soleil à la lune, la bougie fond jusqu’à disparaître, le ver devient luisant… Cette évolution de la nature par le temps qui passe et la représentation de cette évolution en elle-même est un sujet récurrent dans le travail de Fanette Mellier, que l’on retrouve notamment dans le livre Dans la Lune, déjà aux éditions du Livre. Cette thématique lui permet de développer toute une palette de nuances fascinantes. La présence humaine est ici seulement suggérée dans son intervention par un tas de bûches de bois devant la maison qui s’agrandit. Cela nous amène à imaginer ce qui peut bien se passer au fil de ces heures dont nous ne captons que vingt-quatre instants bien distincts et fugaces.

C’est alors au lecteur de s’emparer du livre, de le détailler longuement en tirant les fils des micro-histoires qui s’y développent ou à lire bien plus rapidement, presque comme un flip book. La lecture de ce livre, au-delà d’une narration d’album plus classique, peut mener à un jeu de différences minutieux entre ces instantanés successifs. L’on peut s’attacher à une chose tout du long et voir son évolution ou tenter une vue plus globale autour de cet horizon qui se déploie. Cela amène à la contemplation fine de ces paysages bien plus détaillés qu’il n’y paraît comme tant de panoramas à sonder de long en large. Tout y devient minutieux et apaisant, l’on en entendrait presque la minuscule rainette tout en bas à droite du cadre coasser doucement.

Fanette Mellier utilise des techniques de graphisme pour arriver à l’illustration et à l’album illustré d’art. Ses paysages sont faits de formes géométriques simples aux lignes droites délimitant des couleurs en aplats. Cela va jusqu’à des formes très petites déterminant les détails de ces images. Le livre est imprimé en quadrichromie et quatre tons directs. Ce procédé permet un jeu savant sur les surimpressions de couleurs par strates en aplats pour faire apparaître toutes les nuances et évolutions de ce petit monde tout au cours de la journée et de la nuit. C’est en jouant avec les contraintes techniques que l’on permet ici l’exploration graphique.

Panorama, Fanette Mellier, éditions du Livre, 25 euros, à partir de 4 ans.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 60 min d’émission).

Pour plus d’informations sur Fanette Mellier et sur les éditions du Livre.

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