La Partie est une maison d’édition cofondée par Béatrice Vincent, dont je suis le passionnant travail d’éditrice depuis longtemps, auparavant avec la collection Trapèze des éditions Albin Michel jeunesse, dont on retrouve certains des auteurs marquants dans ce nouveau catalogue.

Adrien Parlange est un auteur-illustrateur dont j’ai découvert le travail en 2014 avec l’album La Chambre du lion, paru alors dans la collection Trapèze donc. Je suis fascinée par son travail intéressant, exigeant et méticuleux dans tous ses aspects, narratifs et graphiques. Pour chaque nouveau livre, il développe un concept singulier qu’il s’impose dans sa réalisation. S’en suivent des albums à contrainte qui ne perdent pourtant rien dans la fluidité de leur narration qui peut ou non, selon les lecteurs et la lecture, laisser apparaître la construction fine et maligne de l’auteur. Ses livres sont souvent très différents les uns des autres dans les concepts développés et même dans les styles d’illustration qui s’y adaptent. Ce renouvellement est très plaisant, tout en laissant apparaître un esprit commun dans chacun de ses livres si l’on y prête attention.

Les Printemps est un épais album qui reprend le déroulé affectif de la vie du narrateur participant, nourrisson endormi sur la couverture jusqu’à ses 85 ans sur la dernière double page. Sont égrainés des événements liés à un âge précis à chaque fois et ayant tous en commun leur impact sur sa vie, impact plus ou moins persistant au fil du temps. Ces moments, comme tant de premières fois, s’enchaînent, pouvant sembler anodins ou plus fondamentaux selon chaque lecteur qui y entrevoit les émotions pouvant y être associées. L’on y voit des orvets, des fraises des bois, un voyage, une naissance… L’on y perçoit aussi de l’amour, de l’amitié, des bouleversements, des découvertes, des fins…

Ce catalogue d’événements suggérant des ressentis semble très personnel, d’autant plus qu’il est rédigé à la première personne du singulier. Mais si ces épisodes, pris un par un, ne font pas nécessairement partie de la vie de tout un chacun, le sentiment général qui se dégage de leur succession peut apparaître comme plus universel. Il s’agit par là de grandir, puis de vieillir, dans un temps pas toujours linéaire, certaines années passant sûrement plus vite que d’autres dans l’empreinte qu’elles nous laissent. Le livre en est alors très émouvant pour tout un chacun, ayant ou non vécu certaines de ces évocations. L’ultra-intime devient commun au lecteur ici par les sensations et émotions qu’il provoque.

Là où ce récit universel touche au sublime, c’est grâce au dispositif narratif mis en place par l’auteur grâce à un ingénieux système d’encoches et de découpes placées ou recouvertes selon les passages. Ces apports successifs fonctionnent par doubles pages développant à gauche l’illustration et à droite un court texte reprenant le plus souvent l’anaphore « À tel âge, je… ». Cela permet de laisser apparaître sous les illustrations des souvenirs, de comprendre visuellement, sans référence dans le texte, l’influence d’un événement passé sur le présent de la double page. Mais cela laisse aussi voir l’estompement de certaines marques ou les réminiscences par des boucles qui se créent. L’on peut alors constater plus qu’expliquer le recouvrement d’un souvenir. C’est au lecteur de faire des liens, ceux tissés par l’auteur et les siens propres dans cette mémoire sélective faite de permanences, de réminiscences et d’oublis. À noter, pour porter cet ingénieux concept, la très belle fabrication du livre.

Dans le texte d’Adrien Parlange, les événements sont décrits, pourtant, ce sont les émotions qui y sont liées que l’on entrevoit et ressent à la lecture. Le texte est sobre, très juste et plutôt descriptif de chaque moment. Les souvenirs et le dispositif suffisent à fixer l’œil du lecteur en liant les passages de cette vie. Cette subtilité dans l’écriture très évocatrice est alors aussi poétique que très élégante. Il est ici question des traces laissées par des étapes plus ou moins importantes dans nos vies, de ce qui en fait l’essentiel. L’on entrevoit ce qui nous marque et influe sur le suite : la première fraise des bois, la première peur, le premier amour… L’on rebondit entre les événements ; les sentiments ressentis se nourrissent de la mémoire de ceux passés. Sont par là évoquées de grandes questions existentielles sans pour autant y répondre, la réponse pouvant alors être personnelle. Les phrases courtes sur le fond blanc de la page laissent toute la place au regard, au silence et aux évocations. Tant de pudeur et de réserve renforcent l’émotion du lecteur qui peut en ressentir autant de nostalgie que d’apaisement.

Face à ces textes forts en sous-texte et pour mettre en valeur son dispositif, Adrien Parlange développe des illustrations plutôt sobres et peu détaillées. Les scènes sont faites de traits de contours à la peinture de deux couleurs et de différentes largeurs sur des fonds de couleurs denses en aplats de jaune, orange, mauve ou vert selon les pages. Un coup de pinceau peut signifier ici un orvet pris pour un dangereux serpent, une branche, une main ou tant d’autres choses. Les scènes évoquées sont montrées sans fioritures ni décors au-delà du plan mis en scène. Les silhouettes épurées dont on devine l’évolution renforcent l’idée d’universel présent dans ce livre.

Les Printemps, Adrien Parlange, éditions La Partie, 22,90 euros, pour tout âge tant il peut être symbolique et apprécié pour une naissance ou tant d’autres événements au fil de la vie.

Pour écouter l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 72 min environ).

Pour plus d’informations sur Adrien Parlange et sur les éditions La Partie.

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