Pauline Barzilaï est une autrice et illustratrice ayant étudié aux Arts décoratifs de Strasbourg ainsi qu’à Berlin qui a, suite à cela, largement expérimenté dans ses pratiques graphiques avec des nombreux fanzines. J’ai découvert son travail saisissant à la peinture plus récemment avec l’album Maddi dans la grotte aux éditions MeMo puis le recueil de poèmes d’Edith Azam Rien à faire, on s’embourbe qu’elle a illustré aux éditions Le Port a jauni.

Ici, le narrateur hors champ, que l’on imagine enfant, nous questionne et nous raconte ce qu’il sait et pense que nous ignorons quant au chant des chevaux, à la course des maisons, aux embrassades des chaussures ou aux pleurs des gâteaux. Évitant la raideur de l’anaphore tout en en gardant le rythme et l’humour de répétition, est posée aux lecteur.ices, directement interpelé.es, une suite de questions, une par double-page, commençant par celle du titre, « Avez-vous déjà entendu un cheval chanter ? », donnant le ton et le modèle sur une première double-page. Suit une illustration de l’animal ou de la chose en action accompagnée d’onomatopées utilisant une typographie manuscrite à la peinture s’intégrant dans l’illustration pour expliciter le bruit créé par cette action. Enfin, en bas à droite de la double-page vient un petit texte rassurant expliquant pourquoi nous n’avons, nous, jamais, ni vu, ni entendu ces activités incongrues.

Il y a là comme une galerie de portraits à la gouache aux traits bruts, aux coups de pinceaux épais et apparents. Les couleurs fortes, tranchées et chaudes dans des teintes du rouge vif à la terre kaki en passant par un jaune lumineux laissent le fond non représentatif pour donner toute la place à ces éléments présentés comme des statues grotesques de profil.

Chaque scène associe un personnage, animal ou objet, une action qui lui est prêtée, absurde compte tenu de sa condition, et un son saugrenu. Ce défilé de choses et d’autres sans liens faisant ce qu’elles ne sont pas censées faire, voire ce que l’on n’imaginerait pas qu’elles fassent apporte un décalage et un humour certain à ce récit sous forme de boucle jouant sur l’étrange, voire le surréalisme autour de ce que le narrateur nous fait découvrir comme d’un monde caché expliqué par la timidité des uns, l’intimité ou la furtivité des autres ou le fait qu’ils agissent la nuit.

L’on peut y voir une réelle considération de l’imagination malicieuse enfantine jouant autant sur le secret que sur l’exagération et l’enthousiasme comme de celle des auteur-ices cherchant à raconter des histoires en prêtant attention à tant de petites choses qui échappent à d’autres, et souvent aux adultes. Cette imagination parfois invisibilisée devient un monde poétique, une réalité insoupçonnée quand on se prête à l’écouter. Ainsi, en tirant le fil, l’on peut alors penser aux enfants que l’on ne croit pas, et surtout que l’on n’entend pas, elles et eux que l’on devrait, nous adultes, écouter comme ils et elles écoutent les chevaux chanter, avec attention et confiance.

De nombreux livres pour enfants utilisent la musique comme expression narrative, ne serait-ce qu’avec les livres sonores à puces pour tout petits ou les livres musicaux avec CD pour tous les âges, qu’ils soient uniquement musicaux ou également narratifs. Au-delà de cet usage très concret de la musique dans les livres à destination de la jeunesse, on peut la retrouver souvent de façon plus diffuse par l’usage du rythme, de sonorités, rimes, répétition ou onomatopées qui peuvent apporter à des textes des aspects mélodieux, les auteur.ices s’appropriant alors pleinement l’usage de la lecture orale de l’album. Ici, le livre devient comptine ou chanson jouant, au-delà d’une mélodie convenue, du rythme régulier de la ritournelle des portraits, des sons étonnants et amusants prêtés aux choses et de l’étrange poésie qui en découle comme d’une symphonie drolatique des choses où l’harmonie finale du regroupement de toutes vient de leurs dissonance initiales.

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