Depuis quelques années, les éditions belges Versant Sud développent de plus en plus un pan de leur catalogue dédié aux traductions scandinaves d’auteurs et autrices contemporain.es que l’on découvre alors dans leur collection des Petites Histoires Nordiques comme Klara Persson ou Marika Maijala. C’est également l’occasion de faire connaitre en France Lotta la filoute d’Astrid Lindgren, personnage phare de la littérature jeunesse suédoise dont les différentes aventures ont paru initialement entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 et qui, bien qu’ancrées dans leur époque, sont toujours lues et appréciées aujourd’hui.

Astrid Lindgren est une autrice suédoise pour la jeunesse mondialement reconnue et aux œuvres largement traduites et adaptées sous divers formats. Elle a notamment écrit les aventures de Fifi Brindacier, d’Emil ou de Ronja, fille de brigand, tous actuellement épuisés dans leurs éditions françaises au Livre de Poche jeunesse et que j’espère ardemment voir réédités prochainement. Elle a remporté en 1958 le prix Hans Christian Andersen, prestigieuse reconnaissance pour l’intégralité de son œuvre. Un prix portant son nom a même été créé en 2002 pour récompenser des auteur.ices de littérature jeunesse.

Beatrice Alemagna est une autrice, illustratrice et peintre italienne installée en France. Elle a écrit et illustré de nombreux albums aux éditions hélium, Albin Michel jeunesse, La Partie ou L’École des loisirs dont Les choses qui s’en vont ou Un Grand Jour de rien et expose régulièrement son travail. Elle illustre des textes patrimoniaux notamment pour les éditions Versant Sud où elle a également illustré un texte de Gianni Rodari.

Cela fait un moment que je n’ai pas parlé de romans pour la jeunesse dans ces chroniques alors je profite de cette parution pour tricher un peu. Si ce texte est bien paru initialement sous un format de recueil, sa parution en format de poche me semble bien pertinente tant il se prête aussi bien à une lecture collective à l’oral qu’aux joies des premières lectures seules d’enfants découvrant cela. Le découpage sous forme de saynètes plus que de chapitres donnant des textes courts, l’ancrage quotidien, la malice des personnages et de l’autrice, les illustrations aérant la lecture, tout y est pour se plonger délicieusement dans les aventures de cette fratrie.

L’on suit ici, du point de vue de Mia-Maria, la sœur cadette, les aventures de sa famille et surtout de ses frère et sœur, Jonas l’aîné et Lotta la benjamine fantasque, les trois étant surnommés respectivement Petit Boucan, Grand Boucan et Tohu-Bohu. Il y a là, par tant d’anecdotes, une chronique de ce quotidien d’enfants qui, bien que située dans la Suède des années 50 par des détails de jeux ou de vêtements, n’en semble pas moins actuelle dans une sorte d’universalité de cette douce et amusante enfance telle qu’on pourrait la souhaiter à tous et toutes. La petite Lotta s’avère aussi vive qu’amusante, ses frasques devenant le centre des récits racontés avec autant de tendresse que d’humour dans ce regard sur la petite dernière de la famille.

Pour les trois enfants, le quotidien devient une aventure par leurs jeux et leur imagination débordante et farfelue à partir d’un pique-nique, d’une visite à la vieille voisine, d’un voyage en train ou de vacances à la campagne, dans un grand sentiment de liberté. Ils jouent avec espièglerie des interdits entre les presque gros mots, les clôtures escaladées ou les gourmandises dévorées. Les mots également deviennent des jeux, en cela délicieux au début de la lecture autonome, entre incompréhensions, sens de la répartie et vrai bagout, Lotta voulant à tout prix mettre sa « jupe de veau lourd » plutôt que de velours ou se plaignant d’une « journée de trop vert » plutôt que de travers. L’on rit alors franchement avec elle qui décide de s’installer sous la pluie sur un tas de fumier pour grandir plus vite comme les pommes de terre. L’on peut y voir toute la pertinence et la finesse d’Astrid Lindgren qui observe le monde des enfants, s’en amuse et s’en émeut sans caricature.

La famille représentée ici est traditionnelle au vu de l’époque de l’écriture de ces textes, avec les dynamiques entre frère et sœurs où les plus grands tentent soit de raisonner soit de pousser dans ses bêtises la plus jeune et les parents dans des rôles sociaux assez stéréotypés. Toutefois, l’on se démarque, sûrement par des conceptions d’éducation différentes à l’époque, des classiques français de chroniques familiales pour la jeunesse comme Le Petit Nicolas de Sempé et Goscinny ou même la série plus récente des Jean Quelque Chose de Jean-Philippe Arrou-Vignod. Ici, l’éducation semble plus positive et bienveillante, laissant les enfants découvrir et explorer. Ainsi, alors que Lotta décide de déménager dans le grenier de sa vieille voisine, sa mère vient tout d’abord lui rendre une visite de courtoisie entrant dans son jeu.

Le sentiment de douceur et de familiarité qui s’empare de nous à cette lecture est renforcé par les illustrations de Beatrice Alemagna qui répondent à merveille aux textes. Ses personnages dégingandés et expressifs, ses paysages et décors aux couleurs douces nous embarquent dans ce monde suranné plein de fantaisie. La liberté du trait de l’illustratrice fait écho à celle de la fillette dès la couverture à l’aspect faussement naïf où on la voit faire le cochon pendu dans un arbre, cheveux hirsutes, peluche cochon à la main et sourire en coin à demi-caché par sa jupe relevée.

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