Je suis depuis longtemps avec intérêt les publications des éditions MeMo et notamment leur tropisme pour la traduction d’ouvrages tchèques, qu’ils soient patrimoniaux comme les livres de Karel Čapek, contemporains comme ceux de Lucie Lučanská ou Jakub Plachy et même monographiques comme le très beau livre sur Jiri Salamoun de Jan Rous.

Dans ce contexte, voilà que je découvre Pantin, Noyau, Prune, Bûche et Pantin, fascinant et interpelant dès la couverture et ce titre sous forme de liste ou de suite qui intrigue tout particulièrement. C’est que l’on hésite à première vue, ne connaissant pas les auteurs que l’on découvre à cette occasion. Cet album est-il récent ? Est-ce une réédition ou une découverte patrimoniale comme les éditrices de MeMo savent si bien les mettre à jour ? L’usage de la linogravure y est très apparente, dans un effet et des références qui peuvent sembler plus classiques. L’on pense à Pinocchio de Carlo Collodi ou Till l’espiègle, personnage de la littérature populaire allemande.

Mais l’on se rend vite compte de la grande modernité de ce livre jouant bien consciemment avec ces codes classiques ; le livre a paru en Tchéquie en 2017 aux très intéressantes éditions Baobab et a reçu un prix à la Foire internationale de Bologne en 2019. Il a depuis été traduit en plusieurs langues et le voilà en français. Vojtech Masek est un auteur, cinéaste et compositeur reconnu explorant diverses formes de narrations et dont voilà le premier album jeunesse. Chrudos Valousek est peintre et graveur ; un de ses livres, Chrudosuv mix prisloví, non traduit en français pour l’instant, a obtenu le prix du Plus beau livre du monde à la Foire du livre de Leipzig.

Ici, tout commence avec Victor, un jeune garçon qui n’a pas envie d’aller à l’école et fait alors semblant d’être malade pour pouvoir rester à la maison. Sa combine ayant fonctionné, voilà que, dans cette journée solitaire, il découvre une bûche qui se met à lui parler et lui raconte toute sa vie, commencée en tant que noyau de prune qui donnera un prunier, qui donnera une bûche, qui donnera un pantin jusqu’à redevenir la bûche qu’elle est alors. L’on se retrouve dans un récit d’apprentissage détourné par l’absurde reprenant dans sa construction et son évolution les codes des contes classiques.

Tout l’humour et la fantaisie du récit viennent du postulat absurde de cette bûche parlante évoquant, entre fantaisie et affabulation, son cycle naturel couplé aux conséquences en chaîne rocambolesques l’ayant amenées à rencontrer le petit garçon. Qui alors est le plus menteur des deux, chacun se cherchant mille excuses et grossissant tous les traits pour être cru ? Cette longue histoire de près de 90 pages est parfaitement rythmée tout au long de vingt chapitres dont les titres résument en quelques mots l’action. Si le récit de la bûche nous semble absurde, du fait même qu’un bout de bois élabore une telle histoire, il évolue autour d’un cycle infini et naturel bien réaliste du noyau qui donnera un arbre et sera réduit en bûches en passant par de nombreux événements drôles ou tragiques sous le coup du hasard, de la malchance ou des rencontres avec une galerie de personnages étonnants.

La discussion entre l’enfant et la bûche, toute amusante et fantaisiste soit-elle, évoque alors des sujets plus existentiels. Ainsi, il est question d’être soi, de ce qui nous caractérise et de ce qui fait ce que nous sommes face à cette identité mouvante de la bûche qui reste elle-même qu’elle soit noyau ou pantin, voire qui se démultiplie alors que le prunier est débité en plusieurs bûches. À cela s’ajoutent des réflexions savoureuses, parfois politiques, amenées par des jeux de mots et doubles sens mettant en lumière le grand travail de traduction de Benoît Meunier qui transcrit à merveille l’intelligence et la facétie du texte. Ainsi, l’on manie la langue de bois et le pantin devient une marionnette qui pourrait être utilisée comme président pour des prunes.

Le rapport texte image, propre à l’album, est ici utilisé de façon très intéressante et évoluant selon les séquences par les deux auteurs dans une mise en page libre où les blocs de textes denses mais aérés dans la page alternent avec des vignettes, pages ou doubles pages d’illustrations confinant parfois au séquençage d’une bande dessinée et choisissant par moment tel ou tel détail de la narration à développer. Le texte est formé du dialogue entre l’enfant et la bûche, dialogue présenté sous forme théâtrale en indiquant à chaque début de phrase qui parle, invitant autant à la lecture à voix haute qu’à l’imagination et la mise en scène. À partir du chapitre 16, un changement de point de vue s’opère avec un narrateur omniscient racontant ce qu’il adviendra de la bûche et de l’enfant après cette rencontre.

Dans cet album dense et de grand format, les illustrations en linogravure de Chrudos Valousek apportent un effet de matière important aux contours noirs forts et anguleux et aux couleurs franches bénéficiant d’une impression en tons direct pouvant rappeler Henning Wagenbreth autant que l’imagerie populaire d’Europe de l’Est.

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