Caroline Gamon est une autrice-illustratrice ayant étudié aux Arts décoratifs de Strasbourg. Elle travaille pour la presse et l’édition et a déjà illustré un premier album il y a quelques années, Ma Panthère noire, sur un texte d’Anne Sibran aux éditions Gallimard jeunesse. Boucle d’or en chemin est son premier album en tant qu’autrice-illustratrice.
À première et rapide vue, l’on pourrait prendre ce livre pour la réédition patrimoniale d’une adaptation du conte bien connu des Frères Grimm tiré d’une version orale écossaise. C’est qu’entre la mention de Boucle d’or, la couverture entièrement toilée d’un très bel effet, les illustrations à l’esthétique surannée évoquant l’illustration russe des années 30 à 50, Rojan et les débuts du Père Castor, tout y est.
Mais en détaillant un peu plus la couverture, l’on remarque une certaine étrangeté dans les proportions du paysage forestier comme un aspect intriguant à ce titre pourtant familier où la petite fille blonde bien connue pour son aventure dans la maison des trois ours se retrouve « en chemin ». L’on envisage alors une réinterprétation du conte avec cette perspective quelque peu énigmatique. Si les contes classiques forment un socle culturel et littéraire foisonnant, l’intérêt actuel me semble surtout dans leur réappropriation par des auteur.ices partant de ces histoires ou personnages largement connus pour en creuser ou renouveler le sens. Le personnage de Boucle d’or a ainsi été utilisé dans de nombreuses nouvelles versions de cette histoire ces dernières années.

Voilà donc que l’on ouvre le livre et qu’apparaît une première découpe, toute petite silhouette de Boucle d’or sur un fond neutre, découpe que l’on pourrait prendre pour une serrure avec l’envie d’aller regarder à travers pour entrer pleinement dans l’histoire ou le secret. C’est là toute la subtilité de la perspective utilisée par Caroline Gamon pour nous raconter cette histoire bien connue. Ici, il est plus question du chemin, du cheminement et des découvertes de Boucle d’or que des frasques de la fillette dans la maison des ours. Si bien sûr, on la voit manger dans leurs bols ou s’endormir dans le lit de ceux-ci, l’accent est mis sur son parcours et sur l’effet qu’il aura sur elle comme sur les lecteur.ices la suivant à la trace. L’important est la découverte « en chemin » suivant les hasards de son parcours.
D’autres découpes parsème intelligemment les pages appelant à la curiosité de Boucle d’or et des enfants : ainsi, en tournant la page où l’on voit l’extérieur de la maison des ours avec la fenêtre découpée, l’on passe immédiatement à l’intérieur que l’on devinait dans un malin jeu de points de vue. Cela laisse deviner la question de ce qui est visible ou non, de ce qui est caché, de ce que l’on peut découvrir. Si la version classique du conte évoque l’intrusion de Boucle d’or comme point central, les lecteur.ices sont ici invités à partager sa curiosité par ces dispositifs.
La forêt merveilleuse dans laquelle chemine Boucle d’or a été créée avec beaucoup de finesse par l’autrice. Si l’aspect suranné nous saisit d’emblée par des peintures à l’acrylique saisissantes et nous rapproche de l’image que l’on aurait d’un bois de conte développant interdits, mystères et attrait, l’on réalise vite que cette forêt n’est que peu réaliste. Un jeu important sur les échelles est mis en place dès le début du texte insistant sur la petite taille de la fillette et ses yeux grands ouverts sur le monde, les enfants étant invités à adopter la même posture pour pouvoir la suivre. Si elle est si petite, la forêt autour d’elle semble surdimensionnée, comme si son ressenti était illustré. Les fleurs et feuilles prennent la taille d’arbres, eux-même stylisés par des formes géométriques rappelant parfois les paysages de Laurent Moreau dans des teintes plus froides de subtils camaïeux de verts et bleus parfois rehaussés de jaune ou d’un soupçon de rouge.

Le texte est concis et sobre, laissant une grande place aux illustrations et notamment à plusieurs doubles-pages sans texte aucun où l’on s’enfonce avec le personnage en plein cheminement dans cette forêt luxuriante. À cela s’ajoute une dimension symbolique apportée notamment par des plantes aux fleurs en forme d’yeux, comme si la forêt-personnage regardait et suivait elle-aussi la fillette. Par cette position d’observateur.ice donné aux lecteur.ices, couplé au fait que la trame narrative du conte leur est probablement connue, ils et elles sont placé.es en surplomb du personnage, sachant en partie, avec un mélange d’appréhension et de délice, ce qui devrait l’attendre.
Si l’aventure commence par une transgression plus ou moins involontaire de l’ordre maternel de ne pas s’éloigner ni pénétrer dans la forêt qui la happe, Boucle d’or finit par suivre son chemin coûte que coûte. Sa mère reste toujours présente, les appels lointains à venir à table apparaissant comme en écho, aussi rassurants par cette proximité à portée de voix guidant la fillette peut-être perdue qu’inquiétants dans l’énervement maternel qui point dans le décompte entendu lui intimant de rentrer. C’est cette voix qui finit par la réveiller depuis la maison des ours juste avant leur retour et dont elle s’échappe brusquement pour retourner chez elle.
Ces jeux sur le sommeil, les échelles, le symbolisme voire le surréalisme laissent un flou autour du rêve et de la réalité de cette aventure vécue par Boucle d’or. Quoi qu’il en soit, elle en sort grandie ; il y a là comme un récit d’apprentissage pour les plus jeunes. En témoigne symboliquement la dernière page qui se déplie vers le haut pour laisser apparaître une désormais très grande Boucle d’or de retour sur le perron de sa maison. L’on peut y voir un parallèle à l’enfant-lecteur.ice qui grandit aussi par ses découvertes et ses lectures.
Boucle d’or en chemin, Caroline Gamon, éd. hélium, 18,90 euros, à partir de 4 ans.
Pour retrouver l’émission Écoute ! Il y a un éléphant dans le jardin où cette chronique a été diffusée (vers 71 min environ).
Pour plus d’informations sur Caroline Gamon et sur les éditions hélium.