Emma Virke est une autrice et illustratrice suédoise dont un précédent album a déjà été traduit en France, La Chanson qui venait de l’autre côté de la mer, illustré par Fumi Koike aux éditions L’étagère du bas. Joanna Hellgren est également autrice et illustratrice suédoise d’albums jeunesse et de bandes dessinées, écrivant selon les projets en suédois ou en français (après avoir vécu quelques années en France). J’ai découvert son travail avec la bande dessinée Frances, en trois volumes publiés aux éditions Cambourakis déjà, qui m’a beaucoup marquée. Depuis, je suis attentivement ses publications, plus régulièrement maintenant d’albums jeunesse qu’elle illustre en s’associant à d’autres autrices.

Dans La Course des mamans, deux enfants jouent ensemble en attendant que leurs mères viennent les chercher à l’école à la fin de la journée. Voilà que le goût du défi et de la surenchère s’en mêle et que chacun.e, persuadé.e que sa maman arrivera la première, lui prête tous les exploits possibles dans cette fantastique course de vitesse imaginaire.

Avec eux, l’on oscille entre jeux d’enfants, attente et ennui. Ils s’amusent avec des figurines qui pourraient représenter leurs mères et avec lesquelles, et beaucoup d’imagination, tout devient possible. Les enfants, à ce moment de la journée où la classe est finie, sont en position d’attente de leurs mamans. Dès la couverture, on voit leurs deux visages encadrés de ce qui semble être la fenêtre de la salle de classe, guettant l’extérieur et l’arrivée de leurs parents venu.es les chercher. Il y a de l’ennui dans cette attente, pouvant parfois confiner à l’angoisse d’abandon ici neutralisée par le jeu où l’obsession reste tout de même leurs mères et celle qui arrivera la première. L’escalade drolatique et fantaisiste entre les deux enfants semble tout autant un moyen de combler l’ennui que de se rassurer dans cette attente, qui pourrait laisser monter l’inquiétude, en imaginant leurs deux mères prêtes à tout pour venir les chercher à temps.

Ce jeu d’accumulation est un jeu de réparties enfantines où chacun.e répond à l’autre, surenchérit en prêtant toujours plus de rapidité, d’adresse, de chance et d’astuce à sa propre maman. L’inventivité fonctionne ici par rebond en escalier par rapport à ce qu’a imaginé l’autre et ainsi de suite. Les enfants envisagent alors une course folle où toutes sortes de véhicules sont mis à contribution et à l’épreuve, que ce soit le vélo qui se faufile, le rapide taxi, les baskets de course presque magiques ou même le parapluie-fusée. Si toutes les ruses sont prêtées à chacune des mères, les enfants ne se privent pas de leur mettre des bâtons dans les roues à coup de pneu crevé, de déviation ou même de requin affamé. Le suspens de cette course imaginaire aux allures bien compétitive est parallèle à la course à l’imagination démesurée entre les enfants dans ce jeu amusant entre amitié et rivalité.

Rien n’arrête ces super-mamans qui se retrouvent confrontées à des difficultés réelles ou bien plus absurdes. L’on peut y voir en sous-texte une prise en compte de la folle journée de ces mères cumulant travail et vie familiale sans mention ici d’autres membres potentiels à la famille. C’est un défi pour elles deux d’arriver à l’heure à la sortie de l’école, défi relevé avec panache et beaucoup d’amour pour leurs enfants. Le jeu mis en place par les petits part du quotidien pouvant être éprouvant de ces mères sans tenir compte des limites de la réalité pour les faire devenir de sortes de super-héroïnes. Les deux mères, telles que les imaginent leurs enfants, finissent d’ailleurs par s’unir dans l’adversité face aux requins pour finalement franchir la ligne d’arrivée et récupérer leurs enfants ensemble. Mais une fois ceux-ci ramenés à la maison, la journée de ces mamans est encore bien loin d’être finie !

Le texte d’Emma Virke est entièrement dialogué entre les deux enfants, rendant leur jeu d’autant plus amusant à coup de « même pas vrai », « et ben ma maman » ou d’accumulations de « non » et de « si » qui fusent en tous sens. Le texte est présenté dans deux couleurs, précisant visuellement l’alternance des personnages dans le dialogue. Le rythme que l’on peut prendre assez naturellement à la lecture est plutôt rapide, les répliques de l’un.e sur l’autre fusant dans une dynamique laissant entrevoir des commentateurs sportifs pris dans la course qu’ils suivent. Ce rythme pris par le jeu peut les rassurer tout autant qu’il remplit et stimule ce temps de l’attente qui s’étire.

Les illustrations de Joanna Hellgren toutes à la peinture sont très expressives et dynamiques, faites de grands coups de pinceaux visibles et forts. Les personnages et quelques détails importants sont découpés. Ces superpositions de peintures donnent du relief et un effet de mouvement, voire de vitesse fonctionnant particulièrement bien au rythme de la course. À cela s’ajoutent quelques pages qui se déplient, comme une immersion plus forte dans cette folle équipée. Les enfants sont représentés au début et à la fin de l’album, comme dans des scènes de mise en situation et de clôture alors que tout le cœur de l’histoire, constitué de leur jeu, montre leurs mamans à l’action, telles qu’imaginées dans les péripéties successives. Le texte dialogué est alors en cartouche en bas des pages, comme une sorte de voix off de ce petit film fort réjouissant se déroulant sous nos yeux.

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